musicothérapie

musicothérapie

Cet article est extrait d'un numéro de la Revue de Musicothérapie. Il permet de situer la recherche dans un panorama de pratiques cliniques très riche, tant dans la diversité des approches méthodologiques que par les concepts utilisés.

 

 

 

Les dispositifs de musicothérapie familiale, l'état des lieux

 

François-Xavier VRAIT

Directeur de l'Institut de Musicothérapie de Nantes

Coordinateur des enseignements, Diplôme de musicothérapie, Université de Nantes

 

 

La musicothérapie familiale demeure une pratique très marginale dans l'ensemble de la musicothérapie clinique. Sans doute d'ailleurs à l'image des autres thérapies familiales  qui, pour être plus développées, n'en restent pas moins très minoritaires, face aux propositions de  thérapies individuelles. Pourtant, les dispositifs de groupe sont majoritaires en musicothérapie, notamment en milieu institutionnel. Et les travaux d'Edith LECOURT ont permis, en France particulièrement, une précision des concepts qui aurait pu trouver un aboutissement, ou au moins ouvrir la voie à une pratique plus large de la musicothérapie en direction de groupes familiaux.

 

Pour ma part, j'ai eu l'intuition qu'un travail de musicothérapie familiale était possible, et aurait pu se révéler opérant, au début des années 90. Je travaillais alors dans un secteur de psychiatrie de l'adulte se référant largement aux théories psychanalytiques, mais récemment ouvert aux concepts systémiques, avec une petite équipe de soignants formés en la matière, et  pouvant répondre à des indications d'entretiens familiaux – non pas de thérapies familiales – pour des familles de patients, notamment schizophrènes. Et la réflexion institutionnelle m'avait conduit à penser qu'il pourrait être intéressant, et productif  dans le cadre de ces séances d'approche systémique, d'utiliser des instrument de musique, avec la consigne traditionnelle en musicothérapie: entrer en relation par l'intermédiaire des sons. Il s'agirait, dans la référence systémique, d'introduire la modification d'un élément fondamental  dans le système de communication interne, permettant une analyse de la place occupée par chacun, particulièrement du patient désigné,  des systèmes de pouvoir, d'autorité, d'échanges à l'intérieur du groupe familial.

Le contexte institutionnel n'a pas permis alors d'aller plus loin dans l'élaboration de cette idée. Toutefois, je n'avais pas perdu de vue cette perspective de travailler avec des familles, et quelques années plus tard, j'ai eu l'opportunité d'intégrer une équipe de thérapeutes, auprès de familles ayant un enfant atteint d'une leucémie, ou d'un autre cancer, et gravement déstabilisée dans son équilibre psychologique. J'en dirai quelques mots.

 

Toutefois, même si les pratiques de musicothérapies familiales restent peu nombreuses, elles existent cependant, et quelques praticiens ont eu le mérite d'écrire et de rendre publique leur expérience. C'est pour moi une manière de  rendre hommage à leur travail, que de me livrer à ce petit panorama des publications sur le sujet. Ce n'est pas un inventaire exhaustif, loin de là,

et heureusement! J'ai connaissance d'autres travaux, d'autres auteurs, dont je n'ai pu me procurer les écrits, ou n'ai pas eu le temps de les traduire. Et il semble que quelques musicothérapeutes, en France, travaillent avec des familles, sans pour autant avoir publié ni même écrit sur cette expérience. Je les exhorte à le faire, ou à rejoindre des équipes de recherche, afin qu'ensemble nous puissions faire avancer l'étendue des connaissances sur la question, et affiner notre pratique.

 

 

C'est Rolando BENENZON qui, le premier, évoque une pratique de "musicothérapie dans le groupe familial". C'est le titre d'un chapitre publié dans son "Manuel de musicothérapie", édité en langue française en 1981[1]. "C'est une technique, écrit-il, qui, si elle a vu le jour spécialement pour le travail avec les familles des enfants autistes et psychotiques, s'adapte parfaitement, dans ses grandes lignes,  à l'utilisation auprès de tout groupe familial ayant un enfant perturbé" (p.207). Ce travail consiste à adapter le groupe familial aux nouveaux canaux de communication ouverts avec l'enfant.

Les concepts utilisés viennent pour une grande part des théories de la communication et de l'école de Palo Alto, mettant en évidence un certain nombre de formes de "kystes de communication" développés dans le groupe familial; ces kystes sont "des formes répétitives et rigides de messages et d'expressions que les parents emploient avec l'enfant autiste et dont ils ne sont pas conscients" (p.207). Après en avoir défini une double étiologie, d'un côté avec une idiosyncrasie pathologique familiale propice à ce type d'enkystement, et d'un autre côté l'absence de réponse de l'enfant aux messages parentaux, BENENZON décrit  quatre formes de kystes de communication observables dans les familles d'enfants autistes:

-         kystes type A: absence de stimulus,

-         kyste type B: hyperstimulation indiscriminée,

-         kyste type C: stimulus stéréotypé,

-         et kyste type D: stimulus stéréotypé anormal. (p.209 à 213)

La plupart de ces kystes de communication sont des expressions verbales, ce qui rend opérant un abord thérapeutique utilisant un langage non-verbal.

BENENZON définit quelques règles pour le travail de musicothérapie appliqué aux groupes familiaux.

Tout d'abord, une période de travail individuel avec l'enfant autiste, afin d'ouvrir le maximum de canaux de communication, dans un dispositif de couple thérapeutique.

Parallèlement, un travail est mené avec le groupe familial en l'absence de l'enfant, pendant une durée d'un an environ. Dans ce dispositif, des tâches sont demandées à la famille, principalement sous forme d'enregistrements: "La consigne dit bien qu'ils doivent imaginer la présence de l'enfant à divers moments de la vie quotidienne et enregistrer comme ils lui parlent, ce qu'ils lui disent, comme ils le grondent ou comme ils chantent, etc." (p.216).

L'enregistrement permet de diagnostiquer le type d'enkystement en cause (A,B,C ou D). En faisant écouter cet enregistrement à l'enfant, on observe ses réponses face aux voix paternelle et maternelle. Plusieurs mois après, une expérience similaire est demandée aux parents, puis à l'enfant. C'est alors l'occasion pour les parents de prendre conscience des difficultés et des stéréotypies dans la communication avec leur enfant, et de les verbaliser. Cela permet aussi aux thérapeutes de mieux percevoir les capacités du groupe familial à rompre avec cet enkystement de la relation, et à préparer la famille au travail commun avec le couple thérapeutique et l'enfant.

C'est le troisième temps dans la thérapie, intégrant l'ensemble du groupe familial dans l'expérience.

C'est un contrat dans un temps limité, quatre séances sur un mois, pour éviter trop de résistance de la part des parents. Les consignes sont simples: "Nous allons essayer de chercher des formes de communication avec votre enfant". La séance comprend trois temps: un temps d'observation du type de communication entre les parents de l'enfant;  un temps de démonstration durant lequel le musicothérapeute travaille avec l'enfant comme à l'accoutumée, afin que les parents voient les progrès réalisés par l'enfant, observent et comprennent les nouveaux canaux de communication ouverts avec leur enfant; et enfin une étape d'intégration, dans laquelle les parents sont invités à participer au travail avec le musicothérapeute (p.214 à 220) .

BENENZON conclut en précisant qu'avec cette technique non-verbale, "nous pouvons diagnostiquer les kystes de communication, et, sans produire de résistances, parvenir à les briser puis à rétablir une structuration pouvant servir à la récupération de l'enfant. Avec le temps nous avons pu modifier notablement les règles de conduite du groupe familial, si bien que Sili [il fait référence ici à un exemple clinique] réussit à ouvrir de nombreux canaux de communication affectifs, expressifs, de perception et de compréhension" (p.226).

Dans son ouvrage plus récent (Théorie de la musicothérapie à partir du concept de l'ISO, Ed. du non-verbal, 1992), Rolando BENENZON ne fait que citer le groupe familial dans les champs possibles d'applications de la musicothérapie (p.78), mais sans s'attarder cette fois.

 

 

En 1993, le docteur Lorenzo AMARO MEDINA publie à Barcelone un ouvrage intitulé Les propriétés thérapeutiques et éducatives de la musique[2], dans lequel il développe un certain nombre de techniques thérapeutiques et de méthodes de musicothérapie, regroupées sous le sigle "système LAM" (comprendre: "Lorenzo Amaro Medina"). Il s'agit de techniques à forte composante comportementaliste, parmi lesquelles un chapitre  est consacré à la musicothérapie familiale, malheureusement sans exemple clinique: "Dans quels cas utiliserons-nous la musicothérapie en famille?". Les réponses sont nombreuses et laconiques, et nous aurions aimé avoir plus d'explications sur leur mise en œuvre! :

"

-         quand l'atmosphère est un peu altérée

-         il faut se lever un dimanche et personne ne se réveille (musique stimulante)

-         combat de fratrie (musique relaxante progressive)

-         situations d'hystérie (musique relaxante)

-         manque d'enthousiasme pour faire quelque chose (musique stimulante)

-         situations conflictuelles – travail, fiançailles, ami - (musique intégrative)

-         pendant la sieste (musique intégrative)

-         pendant les repas (musique intégrative)

-         pendant la lecture (musique intégrative)

-         pendant les travaux manuels (musique intégrative)

-         pendant les travaux ménagers  - repassage, couture, etc – (musique mi-stimulante ou stimulante)

-         dans les moments où il faut conseiller ou orienter les enfants (musique relaxante et intégrative)" (p.113)

 

Devant ces nombreuses (!) indications, les techniques préconisées sont aussi très larges:

"

-         la psycho-expression libre et toutes ses variantes

-         l'un joue un instrument de musique et les autres dansent ou l'accompagnent

-         danser sur une musique préalablement choisie et qui plait au groupe

-         utiliser d'autres types de musiques comme la relaxante, l'intégrative, la stimulante, etc.

-         toujours prendre en compte la situation et la nécessité." (p.113)

 

A peu près à la même époque en France, Jacques JOST, dans son ouvrage Equilibre et santé par la musicothérapie[3], donne des conseils éducatifs aux parents, quant à l'éveil musical des enfants, ou sur l'écoute musicale en famille lors de diverses activités "Dès la naissance, des musiques spécifiques peuvent favoriser l'endormissement et le réveil de l'enfant. De très belles comptines sont souvent fort appréciées" (p.173). Là encore, aucune précision n'est donnée, et nous semblons être bien loin en fait d'une véritable pratique clinique!

 

 

D'autres auteurs vont donner un certain nombre de précisions sur la teneur de leur travail, ce qui  nous permet une étude un peu plus approfondie, que ce soit dans la méthodologie, les indications, ou les références théoriques.

Nous allons poursuivre avec des professionnels s'adressant à la périnatalité, c'est à dire soit à des couples dont la femme est enceinte, soit à des nourrissons prématurés.

 

Sylvie BRAUN publie en 1999 dans la Revue de Musicothérapie un article intitulé L'être avec: relation d'aide et de soutien au Service de Néonatalogie au bénéfice du prématuré et de ses parents[4]. De fait, l'approche thérapeutique d'un très jeune enfant, un nourrisson – a fortiori prématuré – va associer ipso facto les parents dans la prise en charge.

"Fabien est un petit prématuré de 26 semaines (1900 gr.), son état d'anxiété permanent (mouvements très agité) retient toute mon attention. Déposant le lecteur de cassettes près de la couveuse, je  commence le massage sur une musique mélodique et qui, par son rythme régulier, renvoie à l'image de "la mer". La "mère" de Fabien est présente, je la sens elle aussi anxieuse, tendue, ses mouvements, comme ceux de son fils sont très agités. Lorsque musique et massage sont terminés, pendant que je réinstalle dans la couveuse l'enfant, qui lui est devenu calme, détendu, elle me paraît encore plus anxieuse… silence…  puis des larmes… "Je n'ai jamais eu de mère" finit-elle par dire, "tout m'a toujours manqué, ce qui me fait encore plus mal, c'est de ne pas me sentir mère pour mon enfant".

Quelques temps après, cette mère a accepté de faire elle-même le massage sur son enfant, toujours sur la même musique, ses gestes sont devenus plus précis, plus maternels. Il semble qu'elle ait pu acquérir une image d'elle, différente. Ce qui m'apparaît essentiel, c'est le changement d'attitude de cette mère envers son enfant: elle est parvenue à lui transmettre des sentiments, des caresses, alors qu'il y avait "blocage".

En verbalisant ses difficultés à l'aide de la musique médiatrice, en "réparant" par le geste, cette mère a pu "amorcer" son rôle de mère, s'identifier en tant que tel, et pouvoir mieux aimer son enfant.

Nous pouvons penser que la musique favorise une approche subjective, devient alors un moyen privilégié d'aborder l'inconscient, libère ses sources affectives et fantasmatiques et en facilite la verbalisation. La musique semble jouer un rôle important en reliant l'image visuelle à l'émotion, la représentation et l'affect dans un sens plus large." (p.37)

 

Ce récit de Sylvie BRAUN me semble particulièrement évocateur de cette forme de travail auprès d'un enfant prématuré en présence de la mère.

-         Il s'agit en effet d'une action directe auprès de l'enfant, par le massage sous induction musicale.

-         Cependant la maman est présente, et c'est chez elle que s'effectue le travail psychique; je dirais même que c'est là qu'il est attendu, et qu'il pourra être accueilli, contenu, et élaboré avec la musicothérapeute.

L'évolution se révèle favorable, et va permettre à cette maman d'entrer en relation avec son enfant, alors même que les circonstances de l'accouchement et les nécessités médicales de la prématurité avaient  fait barrage aux liens affectifs et langagiers constitutifs généralement des ces premiers moments d'interactions précoces, en même temps qu'ils avaient réactivé chez la maman les déficits et failles narcissiques de sa propre enfance.

 

Plusieurs années avant, en 1990, Elisabeth DARDART avait elle aussi publié un article dans La Revue de Musicothérapie, dans le même domaine de pratique clinique[5].

"J'ai proposé aux parents d'apporter des cassettes de musique écoutée pendant la grossesse ou bien des œuvres qu'ils aiment et souhaitent faire entendre à leur bébé. Le but recherché: impliquer les parents dans le vécu quotidien hospitalier de leur bébé. Ils apportent ainsi une touche personnelle et affective, reconnue et souhaitée par le personnel. D'observer leur bébé écoutant leur musique offre aux parents une autre relation que celle liée à l'angoisse de la maladie. La découverte de ses réactions à la musique est souvent source de grande émotion. Ils voient leur "petit" être attentif, sourire, avoir des mouvements harmonieux ou bien s'endormir paisiblement. Ils reprennent confiance dans les capacités de leur bébé, lui parlent, le touchent, reconnaissent ses différentes réactions ou humeurs: la craint de le réveiller ou le déranger fait place à une plus grande spontanéité envers lui." (p.43)

"Des parents amènent la musique de leur pays, de leur région, nous expliquant ainsi les coutumes et traditions liées à la naissance. D'autres mamans enregistrent des berceuses ou improvisent des chansons à l'intention de leur bébé. Ici la musique crée une enveloppe culturelle dans laquelle parents et bébé se retrouvent;  mais elle est aussi un pré-texte, un lieu où la parole s'échange, où le dialogue s'établit" (p.44)

Elisabeth DARDART met donc elle aussi en avant l'importance de cette approche pour recréer cette enveloppe commune entre parents et enfant, bain sonore et musical, bain culturel, bain langagier, tout ce processus mis à mal par les nécessités médicales et les barrières relationnelles imposées par la couveuse.

Mais elle pointe aussi les effets structurants de la musicothérapie sur le bébé lui-même.

"Nous sommes confrontés à deux aspects difficilement dissociables: l'impact de la musique sur le nouveau-né et l'investissement affectif des parents. Cela rend délicate une analyse rigoureuse de l'effet de la musique sur le bébé. Mais nous pouvons affirmer que, dans la mesure où elle est un agencement structuré de sons, qu'elle touche à l'affectivité et au corporel (perception vibratoire des sons), elle ne peut que présider à la structuration affective et corporelle du nouveau-né ainsi qu'à celle des liens parents-enfant. (p.44)

Et elle conclut:

"En outre, la musique (le son, la voix…) ainsi que le massage (toucher, perception cutanée…) ne sont pas de simples intermédiaires à la relation, mais de réels constituants des enveloppes psychique et physique de l'enfant." (p.45).

 

Pour rester dans la domaine de la périnatalité, nous allons nous arrêter un instant sur les travaux d'Anaïs de TINGUY-SIMON, auprès de femmes enceintes dans le cadre de la préparation à l'accouchement[6].

Difficile alors de na pas prendre en considération la dyade mère-enfant! Mais Anaïs de TINGUY-SIMON ouvre aussi cet espace à la présence du père. Elle travaille dans une piscine, avec une psychologue, une sage-femme et une psychomotricienne. C'est à la fois une approche très classique de préparation à l'accouchement, façon sophrologie, avec une importance donnée au souffle, à la respiration, et à la voix chantée, ce qui permet

-         de développer la capacité respiratoire de la maman,

-         de parfaire l'oxygénation du bébé,

-         et de constituer un ballet aquatique avec le papa, en produisant sa propre musique vocale.

Les effets d'une telle préparation à l'accouchement sont multiples,

-         évitant souvent tune épisiotomie,

-         rendant superflue la péridurale,

-         diminuant considérablement la durée de l'accouchement.

"Le son grave aide à ouvrir le col, diminue le temps de travail de 2 à 4 heures, ce qui est considérable" (p.54)

Les voix du père comme de la maman sont utilisées dans la séance. Citons Anaïs de TINGUY-SIMON commentant une vidéo de son travail.

"Pour produire ce son grave, et pour aider à cette sensation de vibration jusque dans le bas du dos, il faut qu'elle se détende. Le col a besoin que la maman soit détendue. Si les lèvres de la maman sont crispées, le col en bas lui aussi est crispé. Si on arrive déjà à desserrer les lèvres, à les ouvrir… je dis au papa: ce qui détend le mieux les lèvres, c'est le baiser. Ne vous en privez pas! Et en général, ils aiment bien cela." (p.55).

"Puis, c'est le moment de la "ronde portée et chantée" , en appui sur les genoux pour soulager la colonne. Et on essaie de faire des sons graves au ras de l'eau, chacun fait sa note grave. La ronde est faite de balancement, de bercement et de rotation.

"Voilà la relaxation. On essaie d'avoir un toucher vraiment délicat, les mamans étant bien appuyées. On n'a pas besoin de porter, on soutient. Regardez la papa qui chante pour le bébé, et on voit le bébé qui vient vers le papa. […] Quand le papa voit le bébé se diriger vers sa voix, c'est très émouvant, ça produit beaucoup d'émotion." (p.55)

 

Ce type d'approche - que nous pouvons associer davantage à une psychoprophylaxie qu'à une thérapie – stimule l'attachement. Et l'attachement pourrait constituer ensuite,  pour Anaïs de TINGUY-SIMON, "la meilleure prévention des maltraitances". (p.55)

 

Dans le même domaine de pratique auprès de futurs parents, nous trouvons aussi le travail de Marta GROSMARK, en Argentine[7]. A la différence près cependant qu'Anaïs de TINGUY-SIMON se décrit avant tout comme sophrologue, alors que Marta GROSMARK est musicothérapeute, et les séances qu'elle propose sont annoncées en tant que musicothérapie. Son action repose sur les travaux de Françoise DOLTO, mais s'appuie aussi les expérimentalistes ayant mis en évidence les modes de perception fœtale, et les formes de mémoire développées par le fœtus.

Le travail se fait en groupe, essayant au maximum toutefois de respecter les particularités de chaque couple quant à ses modes d'expression et de communication. Les résistances ou les difficultés de départ tombent généralement rapidement, en utilisant des musiques enfantines, mais aussi des cerceaux, balles, rubans, instruments de musique, créant une enveloppe de sons, de mots, de scènes, qui serviront à la construction du groupe. Cela permet aussi à chacun de se connecter avec ses propres expériences infantiles. "Il est intéressant d'observer, dans un cadre musicothérapeutique, ces scènes de jeu, qui sont très riches du fait de la multiplicité des interactions remontant au  sonore-préverbal." (p.511). Le rôle du musicothérapeute consiste à relever et prendre en compte ce qui émerge, que ce soit dans les structures sonores et groupales, et d'en permettre le développement et la structuration, à partir des jeux corporels, verbalisations, dessins, jeux sonores, vocaux, etc. Certains moments sont réservés à des échanges du groupe autour des questions qui se posent sur la grossesse, les inquiétudes des parents, ce que le bébé peut percevoir, entendre, etc. C'est dans ce climat qu'est proposé alors de créer des petites chansons à l'intention du bébé. En s'appuyant par exemple sur une mélodie connue  pour commencer. Puis la manière de composer a chanson se complexifie à chaque fois. En partant d'un rythme proposé par un couple, ou d'un texte. "En tant que musicothérapeute, mon rôle est d'accompagner ces parents pour qu'ils se découvrent créatifs, créateurs pour leur enfant." (p.513).

Et puis "ces chansons sont transmises au bébé avec des tubes de PVC terminés par une embouchure qui augmente le diamètre de diffusion sur la paroi abdominale de la mère. C'est généralement le père qui est chargé de chanter. Leur participation déploie chez eux un sentiment de fierté et de bien-être. Leurs commentaires font comprendre combien ils se sentent plus proches de leur enfant. Ils répèteront cette expérience dans les premiers jours suivant la naissance, mais sans utiliser d'instruments de transmission." (p.516)

Marta GROSMARK donne quelques exemples de chansons composées dans ce cadre, et conclut en présentant des résultats de ce travail.

"Dans la majeure partie des cas exposés, depuis la naissance du bébé, l'homéostasie familiale a été rapidement trouvée. Les bébés ont donné des signes de communication facilement décodables par leurs parents. L'état d'éveil a été très actif et réceptif. Les temps de sommeil ont été plus longs qu'il est généralement observé dans cette période post-natale. Le lien symbiotique, tout comme la lactation, ont été vécu avec aisance." (p.521).

Marta GROSMARK précise que dans cet espace, conçu spécialement pour les parents vivant un manque de communication avec leur bébé in utero, ils peuvent créer du lien avec lui, éprouver la nécessité d'être et de sentir parents, se sentir plus aptes à développer cette fonction parentale, par une plus grande approche émotionnelle de leur bébé. Il s'agit de les aider à vivre cette situation nouvelle, et à diminuer leur anxiété.

 

 

Nous allons maintenant laisser les problématiques de la périnatalité, pour aborder les travaux de musicothérapeutes prenant en compte, d'une manière ou d'une autre, soit une problématique familiale dans son ensemble, soit en intégrant des membres d'une famille dans un cadre et un processus thérapeutiques concernant au départ l'un des leurs, le plus souvent un enfant.

 

Fausto RUSSO, psychiatre et musicothérapeute à Naples, travaille avec des familles, en tant que thérapeute familial.

Pour illustrer son travail, Fausto RUSSO[8] prend l'exemple de cette famille, de cinq personnes, alertée par le comportement du fils aîné de 24 ans, qui vient de rompre subitement ses études, s'enferme à la maison, et tombe progressivement dans un état dépressif. Le père est surtout centré sur lui-même, la sœur est sur-protectrice et elle-même sujette aux états dépressifs, la mère, froide et distante, est consciente du malaise, et tente de faire vivre tout le monde ensemble; le jeune frère semble investi de la tâche d'être un exemple pour son frère aîné. Le thérapeute a vu la famille trois fois dans un cadre de thérapie à orientation systémique, mais se rend compte que si une dynamique de travail est possible, c'est seulement sur le plan intellectuel, mais qu'elle n'est pas en mesure de vivre cette dynamique au niveau émotionnel. Il va donc, dans les séances suivantes, demander à ses patients de communiquer à travers des sons,  à la place des mots. Les sons, dit-il, sont des signes immédiats, prêts pour l'expression des émotions, sans médiations logico-linguistiques. La production de sons peut être utilisée pour créer un contexte interactif et permettre à chaque individu de trouver sa propre position, dans le respect des autres. A ce stade, la technique systémique est capable d'introduire des éléments de changement chez l'individu.

A partir de la treizième séance, le thérapeute annonce à la famille que dans la première partie de la séance, chacun pourrait communiquer en utilisant des instruments, et que dans une deuxième partie, ils pourraient parler au sujet de ce qui s'est passé. Les réactions sont essentiellement défensives. La mère: " Docteur, êtes-vous vraiment capable de comprendre ce qui va se passer lorsque nous louerons de la musique?". Le fils aîné: "Ce ne serait pas mieux d'écouter plutôt de la musique?". La soeur: "Je suis curieuse de voir ce que mon frère sera capable de faire avec la musique". Ce qui amène le thérapeute a proposer un niveau alternatif, avec un temps de découverte des sons des différents instruments. Puis ensuite, de proposer la situation réelle.

Quelques étapes ont ponctué cette thérapie.  Une première étape du côté de la dévalorisation. "C'était mieux de ne pas envoyer de message, parce que l'autre n'était pas capable de me comprendre." Des sons isolés, chacun jouant dans son coin.

Une seconde étape durant laquelle chacun envoie des injonctions dispersées, "vas-y, fais-le, qu'est-ce que tu attends…" L'adaptation au temps de l'autre fait défaut, ne lui donnant pas le temps d'élaborer une réponse. Chacun essaie de conquérir l'espace sonore, soit en étant le leader et en augmentant le volume sonore, soit en prenant de la distance vis à vis du leader.

Dans une troisième étape, il a été possible d'arriver  à une reconnaissance de l'identité de l'autre. Un langage commun s'est structuré entre les patients, avec la possibilité d'utiliser une ponctuation (des pauses), la construction de phrases mélodiques, le choix de rythmes.

Fausto RUSSO a pu observer des progrès dans différents domaines,

-         la prise de conscience des ses capacités expressives

-         la conscience de ce qui se passe chez l'autre

-         la capacité à élaborer une production sonore

-         la réceptivité et l'élaboration d'un son proposé par l'autre

-         l'usage du corps pour produire des sons, et se mouvoir dans un espace

-         la construction de phrases mélodiques en utilisant la voix

-         la non-dépendance vis à vis de l'aide thérapeutique

-         l'imitation intégrée (digérée) d'un son proposé

-         la capacité à être soit conducteur, soit  imitateur

-         la possibilité d'utiliser des alliances inhabituelles pour obtenir des formes nouvelles de sons

-         etc.

Il s'agit donc là d'une forme de musicothérapie, intervenant dans un contexte de thérapie systémique. "Dans certains cas, commente Fausto RUSSO, je donne la possibilité aux membres de la famille d'utiliser un langage sonore, en tant que celui-ci permet une communication immédiate. Les résultats que j'obtiens résident en un temps plus court du travail clinique (environ 10 séances au lieu des 20-25 séances requises dans la démarche de thérapie familiale habituelle). Mais au-delà de cela, les membres de la famille deviennent plus aptes à entrer en contact avec leurs émotions, et à les exprimer plus 'immédiatement'"[9]

 

 

En Suisse, nous avons les travaux de Heidi FAUSCH-PFISTER, qui travaille avec des enfants qui lui sont confiés par les services de psychologie scolaire, pour des difficultés d'apprentissage, ou des troubles du comportement, angoisse, dépression, menaces de suicide, ou manifestant des intolérances au système scolaire. Selon les cas, Heidi FAUSCH proposera

-         une musicothérapie individuelle, et des entretiens réguliers avec les parents, lorsqu'il s'agit  de situations de conflits, ou suite à des drames familiaux, et lorsque l'enfant a besoin de se sentir en sécurité,

-         une musicothérapie de groupe, et des entretiens familiaux, dans le cas de troubles relationnels, de situations d'angoisse, d'insécurité, ou des troubles identitaires,

-         une musicothérapie individuelle pour l'enfant, associée à une musicothérapie familiale toutes les 4 ou 8 semaine, lorsque les troubles apparaissent de manière plus précoce. Il s'agit alors de permettre à l'enfant de faire de nouvelles expériences dans la relation duelle avec la thérapeute, puis de pouvoir développer ainsi de nouvelles compétences lors des séances familiales. (Comme nous avons pu le voir avec BENENZON),

-         une musicothérapie familiale, lorsque les problématiques concernent la triangulation,  des secrets familiaux, des traumatismes graves touchant la famille – décès tragiques, guerre…), une confusion générationnelle, des troubles dans la communication intra-familiale, dans le cas d'un enfant handicapé ou gravement malade;

-         ou enfin une musicothérapie père-fils, ou l'enfant et un parent, lorsque la relation à trois n'est pas établie, en cas de trouble d'identification, lorsqu'un déficit communicationnel est avéré entre père et fils, lorsque le père ne sent pas capable de jouer avec son fils, etc.

 

Heidi FAUSCH relate une musicothérapie familiale réunissant les parents et leurs deux garçons. M., 10 ans, fait régner la terreur à l'école, ne veut plus apprendre, martyrise son frère, et n'obéit plus à sa mère, qui se sent complètement dépassée. Le père travaille en équipe et doit souvent dormir en journée. La vie est rythmée par son sommeil. Les enfants ne doivent pas faire de  bruit.  Mais M. est est souvent dans la provocation, trouble le sommeil de son père, qui en fait le reproche à la mère. Quant au jeune frère B., qui a 8 ans, il est sage comme un ange, calme, obéissant à sa mère,  et bon élève.

Après un entretien préalable avec les parents, les enfants sont tous deux prêts pour une thérapie familiale.

 



02/01/2007
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