musicothérapie

musicothérapie

Première séance:

Heidi FAUSCH explique le cadre: M doit choisir un instrument pour chaque membre de sa famille et sa famille, en contrepartie, doit se comporter comme lui le veut.

Le jeu musical:

M donne à son père un gros accordéon. Pour lui, il choisit le plus petit. Il donne un tambourin à son jeune frère et une toute petite flûte de pan à sa mère. La maman est indignée, elle ne veut pas de la petite flûte. Je lui conseille de prendre l'instrument que M a choisi pour elle et d'en parler seulement quand le temps de parole commencera. Elle pourra alors exprimer comment elle s'est sentie avec cette flûte dans l'orchestre familial.

Le père et M jouent ensemble, mais se disputent aussi musicalement avec l'accordéon. Le jeune B joue pour lui seul un rythme sur le tambourin. La mère essaye désespérément de garder le contact avec la petite flûte de pan. Pas de chance: les accordéons sont trop bruyants, on n'entend rien de la petite flûte. De temps à autre, elle est prise en considération par B.

Le temps du feedback:

Le père et M ont eu du plaisir à jouer ensemble et à se quereller. Les deux sont contents. B n'a eu aucune envie d'y participer et a joué pour lui. Cela lui est habituel. Avec sa mère, il a trouvé que c'était bien de jouer ensemble, même s'il l'a peu entendu à côté des deux accordéons. La mère dit que dans cette famille, c'est la même chose. Le père se dispute et fait du bruit avec M. B se replie sur lui-même et elle est perdue au milieu. (Elle est au bord des larmes en énonçant cela). Parfois elle en a marre de tous et se demande si elle ne va pas partir.

Deuxième séance:

La mère se manifeste en premier et se plaint : M ne veut pas lui obéir et elle se sent sans valeur et superflue. Le père était très intéressé. Je propose que les parents jouent ensemble pendant que j'écoute les deux fils. Les deux parents font du tambour ensemble. La mère sourit tout d'abord puis se met à pleurer. Le père la prend dans ses bras. Les fils regardent comme subjugués.

Le temps de parole:

Les parents n'avaient plus depuis longtemps rien entrepris ensemble. La mère commence à manifester ses besoins. Le couple parental voudrait se planifier un week-end en tête à tête, ont cependant peur que M refuse d'aller chez ses grand-parents ou "se mette en grève". Nous expliquons la situation à M. Celui-ci ne veut pas quitter ses parents. Les deux parents, spécialement aussi le père, doivent lui dire, dans le cadre de la thérapie, que ce n'est pas possible et qu'ils partiront sans lui. Le père commence à soutenir les besoins de la mère et M à aller contre son père et ne plus être son copain.

Dans les séances suivantes:

S'ensuivent d'autres jeux musicaux : "Le matin quand le père dort", "Le duo M et B", "Le nouvel orchestre familial"…  le père accompagne la mère, la mère accompagne le père. Chacun doit jouer un solo, accompagné par le reste de la famille.

La nouvelle solidarité entre les parents et leur prise de responsabilités permirent à M un rapide changement de comportement. La mère commença à assurer une nouvelle place au milieu des trois hommes. M recommença à apprendre à l'école et à jouer avec son frère. B et le père se rapprochèrent.

Après six mois environ, la famille avait trouvé un nouvel équilibre qui dure encore aujourd'hui (six ans après).

 

 Un des derniers ouvrages paru en anglais est le Manuel de musicothérapie (the handbook of Musictherapy) de Leslie BUNT et Sarah HOSKYNS, publié en 2002, à la fois en Angleterre, aux Etats Unis et au Canada. Cependant, il s'agit d'un travail essentiellement britannique, Leslie BUNT dirigeant le diplôme de musicothérapie de l'Université de Bristol, Sarah HOSKYNS étant à la tête d'un Département de musicothérapie dans une École de Musique et de Théâtre à Londres. 

Un des chapitres est consacré à une étude de cas, relatée par Leslie BUNT, et le récit de cette musicothérapie met en évidence l'importance, dans le cadre des séances, de la place de la maman d'une jeune enfant présentant des traits autistiques, Suzanna, "Nous pouvons lire ici en quoi la présence de la maman de l'enfant donne un aspect caractéristique au déploiement de l'histoire. La thérapeute a décidé d'approcher la nature complexe des difficultés de communication de l'enfant en facilitant le plus de communications musicales possibles entre la mère et l'enfant " (p.72-73).

Suzanna arrive en musicothérapie à l'âge de 3 ans 2 mois, sur indication d'un pédiatre. La thérapie va durer 22 mois, en 64 séances hebdomadaires, jusqu'à son entrée à école à plein temps, lorsqu'elle aura 5 ans. Sa mère était partie prenante des séances, et ses propres observations sont consignées.

Dès la première séance, la maman a pu observer ce qu'elle décrira plus tard comme une expression de colère de Suzanna lorsque celle-ci s'est trouvée en difficulté pour atteindre une cymbale suspendue, du fait d'un manque de contrôle physique. Sa maman décrit cela comme un "plus", cette colère étant prise dans une activité acceptable. C'était la première fois qu'elle voyait Suzanna exprimer une émotion aussi clairement." (p.73-74)

Le récit de la thérapie se poursuit, Suzanna étant invitée à utiliser divers instruments, Leslie BUNT étant attentive à la manière dont l'enfant explore chacun d'eux, prends des initiatives, imite, initie plusieurs tempos, intensités et qualités de sons…

Le déroulement de la séance 30 est entièrement présenté. Nous pouvons y suivre le cheminement de Suzanna, celui de sa maman. Celle-ci encourage sa fille à s'asseoir en début de séance, alors que la thérapeute s'installe au piano. Suzanna fait signe à la thérapeute de commencer à jouer, ainsi qu'à sa mère. Elle lui donne une baguette. Etc. Un certain nombre d'interactions sont ainsi décrites, à l'instigation de l'une ou de l'autre, utilisant les instruments, la voix, les déplacements. Elles chantonnent quelquefois ensemble. A un moment, Suzanna remue la main de sa mère sur le rythme d'une musique. Peu à peu, une excitation s'empare d'elle, elle s'agite, et vocalise en direction de sa mère, qui est allée s'asseoir derrière les instruments. La musicothérapeute lui donne une autre baguette et s'installe elle-même au piano. Le jeu est fort et soutenu. Suzanna vocalise et joue du tambour. Elle tend une baguette à sa maman et commence à l'inclure à nouveau dans son jeu, avec des rires. La séance se termine ainsi. (p.76).

Peu à peu, et au long des séances, la musique de Suzanna commence à changer, à se développer. Sa maman elle, commence à faire des liens entre la manière dont sa fille évolue dans son jeu musical, et dans son développement général en dehors des séances.

-         Du côté d'une mise en confiance, progressive.

Avec des moments d'ambivalence, de retrait, de repli, qui sont pris en compte dans le processus de la thérapie, et compris comme des temps d'assimilation de ce qui constitue pour elle de nouveaux modèles de comportements. Et la maman note: "L'attirance de Suzanne pour la musique lui fait utiliser celle-ci comme un moyen non-verbal de contact avec nous. Son confiance en Leslie et au cadre des séances a pu augmenter sa capacité à utiliser ce chemin pour accepter des petits changements, et éventuellement à les appliquer en dehors des séances. Elle n'avait pas eu grand "succès" dans ses rencontres avec d'autres jusqu'à ce qu'elle ait utilisé la musique comme une forme de communication. (p.77)

-         Dans son rapport aux instruments.

Elle préfère regarder les instruments, plutôt que directement les deux adultes. Cette communication indirecte, non-confrontationnelle, a aidé à évaluer les limites de Suzanna en terme de ressenti et d'émotion. Sa maman commente: "Suzanna était terrifiée par les sons forts, aigus. En utilisant les instruments, elle a découvert qu'elle pouvait contrôler les sons, et en fut donc moins effrayée. Cela a atténué sa crainte du monde." (p.77)

-         Dans son regard et sa communication directe.

Partant de situations de jeu côte à côte, au piano, ou sur un xylophone basse, ou assise sur les genoux de sa maman, Suzanna a pu progressivement tolérer les déplacements de la musicothérapeute, allant d'un instrument à un autre. Du fait même, des contacts par le regard sont devenus possibles. Elle commençait à permettre que la musicothérapeute interfère dans son monde musical interne. Sa maman ajoute: "Suzanna a utilisé les instruments comme tampon dans son contact avec Leslie et moi. Quand sa confiance dans la situation s'est accrue, ses tentatives de contact visuel et de communication verbale directe se sont aussi développées."

-         Dans le développement de vocalisations.

A un certain moment, Suzanna commence à ouvrir la bouche, comme pour produire un son. Un travail avec des petits cors en roseau (utilisés dans la méthode Nordoff-Robbins) lui a  permis d'utiliser sa voix plus en confiance. Elle accompagnait ses vocalisations de gestes de la main. Peu à peu, les sons se sont épanouis en variété, longueur, fréquence. Sa maman a noté cette progression: "Le premier son verbal de Suzanna a été "Da". Elle l'a émis quand elle a compris que vous espériez une réponse. […] Elle a réalisé aussi que tout son était acceptable. Il n'y avait pas de mauvais ou de bons sons." (p.79)

-         Dans les échanges réciproques.

Les moments de jeux interactifs se sont peu à peu développés. Suzanna a pu jouer autour d'un grand tambour avec la thérapeute; elles se passaient les baguettes. Et puis la maman a pris part à ce jeu. Suzanna commence alors à accepter cet échange d'activité, et de passer aussi les baguettes à sa mère, qui commente: "Qu'elle me permette de jouer avec elle a été un grand moment pour moi. Qu'elle devienne ainsi plus à l'aise avec ces situations, trouver  du plaisir dans ces échanges a vraiment été un tournant pour nous."

-         Dans le développement de l'organisation.

Suzanna a commencé à faire des liens dans l'organisation des séances, qui ont un début, un milieu, une fin. Chaque instrument a de baguettes qui lui sont propres. Elle devient capable de planifier l'ordre des activités. Sa mémoire des détails devient plus évidente au fur et à mesure que les séances avancent. Et elle acceptent aussi des modifications dans l'ordre établi.

-         Dans l'expression des émotions et des besoins

Dès le départ, on observe que la musique est une manière pour Suzanna d'exprimer ses émotions. Mais à la fin, il lui est possible d'exprimer une palette d'émotions depuis l'excitation jusqu'au calme. La musique ne lui permet pas seulement d'accéder à ses émotions, mais c'est aussi pour elle une manière de les exprimer dans une forme contenue et communicative. Sa maman témoigne de la manière dont Suzanna a utilisé la musique pour exprimer ses émotions et communiquer ses besoins: "Elle ne manifestait jamais ses émotions: heureuse, triste, en colère. Elle était juste OK ou non OK. La première fois que j'ai vu Suzanna se mettre en colère a été lorsqu'elle essayait de répéter un son que Leslie venait juste de lui montrer sur une cymbale. Le premier calin que j'ai reçu a été pendant une séance, alors que le violon jouait. Les sons des tambours l'exciteraient, celui du piano la rendrait plus attentive." (p.80)

-         Dans le développement de l'imaginaire et du jeu symbolique

Durant les dernières séances, il y a eu l'introduction de jeux comme des renards ou des ours, en tant qu'objets intermédiaires; ils pouvaient être inclus dans la musique, Suzanna jouant avec eux, écoutant leurs "réponses": ils pouvaient être invités à jouer eux aussi. Sa maman commente: "L'utilisation de la poupée pendant une séance n'était pas intentionnelle, du fait qu'elle ne l'avait jamais utilisée avant. Elle la portait seulement. Voir le renard aider les baguettes à jouer, et le voir sauter lorsqu'elle tapait sur le tambour a enchanté Suzanna. Elle a utilisé le renard pour faire quelques petits jeux avec ses sœurs. C'était la première tentative pour jouer avec ses sœurs." (p.81)

-         Dans le développement de l'écoute et d'une relation étroite avec sa maman.

La présence d'un étudiant en musicothérapie jouant du violon a créé l'opportunité d'une écoute de musique pour Suzanna. Elle restait assise en écoutant le violon. L'écoute musicale a permis aussi des moments de contacts étroits avec sa maman, qui confie que ces instants sont rares. "Suzanna n'aimait pas être assise sur mes genoux., faire un calin, donner sa main ou même être touchée. Ma place (dans les séances) était d'être assise près d'elle, et pour elle d'être capable de se cacher derrière moi. Au cours des séances, elle s'est autorisée à prendre part aux échanges, aux contacts visuels, en voyant ma réaction à ce qui arrivait, et alors en réagissant à mes réponses. En réalité sourire et se faire plaisir en prenant part à une activité de groupe est une magnifique avancée pour Suzanna." (p.81)

 

Cette forme de travail, tourné indubitablement vers l'enfant, mais donnant à la mère une place très importante dans le jeu musical au cœur des séances, mais aussi dans les échanges et le travail d'évaluation et d'élaboration du thérapeute, me semble assez significatif  et intéressant dans les dispositifs de musicothérapie familiale que j'ai pu répertorier.

 

Dans ce dispositif thérapeutique à trois, il faut noter les travaux de  Anne SEYTTER se référant  à ABELIN et son concept de triangulation précoce : ABELIN encourage un travail effectif dans un dispositif de triade (triadic setting), mère-enfant-thérapeute. L'enfant de 18 mois a développé nombre de relations individuelles caractéristiques d'une  « relation en miroir ». Mais il fait maintenant l'expérience que le père et la mère sont aussi en relation l'un avec l'autre. Et que dans cette situation, il se ressent comme mis de côté, sans possibilité d'interagir dans cette relation, puisqu'il n'y a personne dans le miroir en face. Il ne peut rien faire, mais il peut reconnaître son propre désir frustré dans l'action de son rival. Pour ABELIN, cette expérience signe le passage de « l'imitation inconsciente de l'objet symbiotique » à « un désir pour l'objet », en même temps que la découverte du soi (self). C'est ce qu'ABELIN appelle la « triangulation précoce ».

Anne SEYTER s'appuie aussi sur les travaux de Mickaël ROTMANN[4], qui met en évidence l'importance des relations affectives entre le père et la mère pour un développement progressif  de l'enfant dans les premières années de sa vie. L'expérience positive des relations entre ses parents est nécessaire pour que l'enfant puisse maîtriser ses pulsions agressives. Les caractéristiques de cette phase sont les sentiments ambivalents de l'enfant envers sa mère résultant de la symbiose originaire. Il ne peut affronter les pulsions agressives envers sa mère,

parce que la haine contre elle équivaudrait à détruire sa propre vie. La sortie de ce dilemme est ouverte par le père, en tant que « tiers non contaminé ». En effet, il n'est pas aux prises avec les sentiments contradictoires nés des relations symbiotiques. Par cette voie, l'enfant est capable d'intégrer la haine de la mauvaise mère, sans avoir recours au clivage, ni à la projection.  Ce qui pouvait être destructeur devient constructif. D'autre part, le père donne à l'enfant un modèle de séparation sans risque d'avec la mère. L'enfant expérimente qu'il y a un objet différencié de la mère, en relation avec elle tout en étant séparé sans être détruit. Il peut prendre le risque de sortir d'une relation symbiotique  en faisant cette expérience qu'une relation entre des individus autonomes est possible.

En référence à ces concepts, Anne SEYTTER donne quelques indications pour ce dispositif en triade, notamment des problèmes comportementaux de l'enfant en rapport avec les processus de séparation-individuation, comme une agressivité immodérée vis à vis de la mère, des comportements de frayeur en l'absence de la mère, ou dans la perspective d'une absence imminente, des attitudes de renfermement immodérées en présence de la mère, ou plus spécifiquement lorsque des symptômes apparaissent à la suite du divorce des parents.

Quant à la forme du dispositif, Anne SEYTTER décrit trois situations possibles:

-         la proposition d'inclure d'emblée la maman dans le séance, avec la consigne de ne pas participer ni réagir à ce que fait son enfant. C'est une situation pratiquement impossible à tenir pour la mère, et très confusionnante pour l'enfant, confronté à une attitude non-naturelle de sa maman.

-         La participation sporadique de la mère pour faire l'expérience des progrès de son enfant. C'est aussi problématique, car la mère peut vivre cette situation comme une démonstration de sa propre insuffisance en tant que mère.

-         La proposition d'une participation active de la mère. C'est l'option que va prendre Anne SEYTTER. Les trois personnes sont également participantes dans l'interaction. Dans la relation entre la mère et l'enfant, le musicothérapeute intervient comme tiers afin de construire une relation triangulaire. L'attention est à part égale entre les trois côtés du triangle.

Pour vivre cette expérience triangulaire, il est d'abord nécessaire que la mère et l'enfant aient la liberté de se mouvoir, qu'ils puissent aisément changer d'instruments. Il est important que le thérapeute conserve son propre jeu, et n'assimile pas son jeu à l'un des deux autres. Un jeu de rotation deux par deux peut être exploité. "Ecoutons comment toi et moi, toi et elle, elle et moi, jouons ensemble". Ou alors le troisième commence à jouer lorsque l'un des deux arrête. De même pour le choix des instruments.

L'intérêt de l'utilisation de la musique est multiple.

-         Ces jeux musicaux sont en lien avec le niveau de développement de l'enfant;

-         la musique crée des relations émotionnelles, en jouant de la musique, des sentiments sont exprimés, qui ne pouvaient pas encore être mentalisés;

-         la relation mère-enfant est virtuellement une relation musicale, évoquant le bain sonore intra-utérin. La musique représente souvent des situations d'apaisement, comme les chansons d'endormissement, les berceuses; la participation de son enfant aide apparemment la maman à montrer de la curiosité, et d'impliquer dans une démarche esthétique, qui pourra être travaillée en thérapie;

-         le plaisir du jeu en commun relance une possible communication entre la mère et l'enfant

-         la musique offre un support nécessaire, par sa structure même, rythme, répétition, continuité, et rend possible l'expression de sentiments;

-         elle offre une sécurité. Les chansons d'enfant, très utilisées en musicothérapie, unissent mère et enfant. Chanter l'un pour les autres peut avoir des effets apaisants et nourrissants.

 

 En Norvège, Gro TROLDALLEN propose aussi un travail de musicothérapie mère-enfant, à la différence toutefois qu'il va s'agir d'un dispositif de groupe, accueillant plusieurs mères et enfants. Gro TROLDALLEN s'appuie sur des travaux de recherches pointant les composantes musicales dans les interactions non-verbales (STERN, 1985, TREVARTHEN, 1985), faisant le lien entre le jeu musical interactif ("interplay") et les interactions précoces entre mère et jeune enfant, dans le sens d'échanges sonores et gestuels et leurs variations en termes d'intensité, d'intonation, de rythme et de tempo. Cela rejoint ce que Bateson décrit en terme de "protoconversation", en tant que base du versant non-verbal dans l'interaction musicale, et qui survient avant le modèle du dialogue verbal. De même que le "proto-dialogue préverbal dans l'interaction musicale", décrit par un musicothérapeute scandinave, Unni JOHNS (1993). Pour TROLDALLEN, cette base relationnelle dans la protoconversation peut fournir un modèle de compréhension de la dynamique du jeu musical en musicothérapie. A ce niveau théorique, l'empathie et l'intersubjectivité sont sous-tendues dans la relation: deux sujets se rencontrent l'un l'autre à travers l'échange affectif, la reconnaissance mutuelle, et partageant une attention conjointe (p.15). Le travail clinique s'opère donc dans l'Ici et Maintenant de la séance, avec son caractère intersubjectif décrit par Daniel STERN en 1996 lors d'une conférence à l'Université danoise d'Aalborg comme "hot present now"], commentant son concept plus connu, "affect attunement", l'ajustement, l'accordage affectif.

A partir de ces travaux, Gro TROLDALLEN va axer son travail autour de la "reconnaissance" et "l'appréciation mutuelle", qui incluent l'écoute, la compréhension, l'acceptation, la confirmation, la tolérance. La musicothérapie prend place dans une institution de soin pour enfants, où mères et enfants participent au même groupe de musicothérapie. Son questionnement repose autour de ce double mouvement: comment une "reconnaissance" peut-elle s'exprimer dans le jeu musical, et éclairer les processus à l'œuvre en musicothérapie? Et comment la fonction du jeu musical peut-elle devenir un potentiel de changement, de transformation?

Elle prend l'exemple de l'évolution d'un groupe auquel neuf mamans et leurs onze enfants ont participé. Ce travail est proposé à des parents isolés, des mères seules avec un enfant, en situation  de vie difficile, regroupées dans une institution de soins pour ces enfants. La séance a lieu au jardin d'enfants. Partant de situations fortuites, contextuelles se présentant lors des séances, des mouvements corporels, des déplacements des enfants dans l'espace, la musicothérapeute met en exergue ces situations, les vocalise, les chante, les articule avec des propositions de jeux sonores, de comptines, etc. Elle convoque ainsi une mise en scène, mettant en évidence les moments d'échanges émotionnels, de mouvements d'identité, d'appartenance sociale, de régulation mutuelle, d'ajustement de l'attention mutuelle, du développement des habiletés au jeu relationnel interactif.

 L'expérience montre combien le jeu musical ouvre à la possibilité de rencontres intersubjectives, la rencontre de deux sujets dans un ajustement affectif, un accordage affectif, une attention conjointe et une confirmation mutuelle. La reconnaissance est corrélative de l'intersubjectivité, qui se développe au travers des échanges affectifs.

 

Dans un dispositif un peu comparable,  en tant qu'il regroupe plusieurs familles simultanément, je peux bien entendu citer ma propre expérience, (François-Xavier VRAIT) auprès de familles ayant un enfant leucémique. C'est toutefois bien différent, puisqu'il va s'agir d'un travail avec un  groupe beaucoup plus important,  concernant environ 7 à 8 familles, réunies ensemble sous forme de week-ends, avec une équipe de 8  thérapeutes. L'équipe est pluridisciplinaire, avec l'idée de développer toute une palette de formes expressionnelles et créatrices, dans le but de relancer une communication intra-familiale. Les objectifs thérapeutiques sont à comprendre du côté d'un soutien, individuel et familial, afin de répondre aux multiples désorganisations psychiques provoquées par la maladie de l'enfant, et ses répercussions sur l'ensemble de l'écosystème familial.

Ce dispositif peut paraître assez lourd, mais permet en fait une souplesse de travail et une adaptabilité pouvant répondre aux besoins des personnes comme des familles. En effet, au cours de chaque session, il peut être proposé à chacun de travailler à partir de groupes de paroles, d'ateliers d'écriture, de peinture  ou de dessin, d'expression théâtrale, de marionnettes, de la voix, d'expression corporelle, de musique, etc.

Et ceci, dans différentes configurations :seul avec un thérapeute, en couple, avec le groupe des parents, avec celui des frères et sœurs plus âgés que l'enfant malade, entre jeunes enfants, entre adolescents, avec son propre groupe familial.

Les désordres psychologiques sont très nombreux, et concernent

-         l'enfant malade bien sûr, dont la vie va être particulièrement bouleversée. Hospitalisations, examens  angoissants,  traitements lourds aux effets indésirables pesants, sensations douloureuses pénibles, mais aussi des atteintes psychologiques non négligeables. Les mots souvent ne suffisent pas pour dire une souffrance qu'il ne peut de lui-même rendre consciente.

-         les parents, dont l'organisation de la vie est aussi sensiblement modifiée. Chaque jour de nombreux kilomètres afin d'être présent près de l'enfant hospitalisé. Parfois  quitter une activité professionnelle, ou la mettre en péril. Difficultés financières.Isolement affectif, modification des rapports familiaux et de la vie de relation.

-         Le couple lui-même est atteint, rongé par la peur et l'angoisse devant un devenir incertain. Décompensation dépressive, ou état dépressif masqué : troubles de l'alimentation, du sommeil, fatigabilité ou au contraire hyperactivité défensive, irritabilité, agressivité. Désordres conjugaux, troubles sexuels..

-         les frères et sœurs, cumulant souvent sentiment d'abandon, sensation d'isolement affectif,  sur-responsabilisation, chute des résultats scolaires, apparition de symptômes régressifs (énurésie, troubles ou retards de langage...),  manifestations, désordres comportementaux et relationnels.

En d'autre termes, la dynamique familiale se trouve gravement endommagée. Chacun réajuste bien entendu son espace personnel, mais ce réaménagement s'opère de manière absolument individuelle. Dès lors, chacun s'enferme dans une détresse que l'évitement et le déni rendent peu élaborables. Et nous rencontrons  fréquemment un schème de pensée familiale rendant impossible l'expression d'une souffrance: "Si je parle de ma souffrance, je fais souffrir les autres.  Et je devine combien ils souffrent déjà. En conséquence, je me renferme dans mon silence de douleur".  Ainsi plus personne ne peut parler de ce qu'il ressent profondément.  Et chacun de se cloîtrer dans sa douleur intime.

C'est alors que les arts-thérapies,  la musicothérapie, vont prendre toute leur place.

-         Ils agissent en tant que langage expressif et support à une expression signifiante. La nouveauté du dispositif langagier proposé permet à chacun d'affronter sa réalité intérieure.

-         Ils agissent en tant que moyen de communication.  En effet, le schème de pensée décrit plus haut rend pratiquement inefficace toute tentative de vouloir d'emblée rétablir une communication intra-familiale traditionnelle. Il faut donc permettre au groupe familial de faire l'expérience, dans la relance d'un processus créatif, qu'un "projet familial" est déjà à l'œuvre, est encore possible, est toujours "pensable".

-         Ils agissent en tant que moyen de restructuration de la cellule familiale. Lieu d'expression, espace de communication, c'est l'occasion de réarticuler la place de chacun et d'interroger le système familial dans son ensemble

-         Ils agissent en tant que lieu d'analyse et de réorganisation de la vie intérieure. Au fil du lent travail de création, musicale, picturale, corporelle, de mise en scène théâtrale ou de mise en récit par l'écriture ou le conte, s'élabore doucement un lieu pour se projeter, pour se représenter. S'accepter comme sujet de sa propre création. Et donner forme à sa douleur.

Nous retrouvons ainsi les quatre formes d'utilisation de la musique en musicothérapie, telles que décrites par Edith LECOURT : moyen d'expression, de communication, de structuration, et d'analyse de la relation.

Par contre, nous percevons combien, dans cette configuration de thérapie familiale, la musicothérapie n'a de sens que dans un ensemble plus vaste, celui de l'art-thérapie.  L'art en thérapie déploie ici, pour ces familles en très grande souffrance psychologique, les moyens de restaurer la force d'exprimer, d'éprouver et d'élaborer une capacité à construire, pour soi-même, et pour l'ensemble du groupe familial, un nouvel espace pour vivre.

 



03/01/2007
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