musicothérapie

musicothérapie

Argumentaire de la recherche

Jean-Pierre AUBRET

Musicothérapeute, Docteur en sciences de l'éducation

Coordinateur des groupes de recherche clinique

à l'Institut de Musicothérapie de Nantes

 

 

MUSICOTHERAPIE ET GROUPES FAMILIAUX

Perspectives de recherche

 

 

La musicothérapie familiale, d'inspiration analytique, peut être définie comme « une prise en charge thérapeutique qui concerne plusieurs membres de la famille, même si la demande initiale ne concernait qu'une seule personne. Il s'agit d'offrir un espace d'expression, par l'intermédiaire du son et de la musique, dans laquelle la famille puisse se projeter et rendre ainsi certains aspects de son fonctionnement audible, et ce pour elle-même comme pour le thérapeute. Cette nouvelle audition est la condition de nouvelles prises de conscience ». (E.Lecourt, 2004) [1]

 

Une recension des travaux existants (F.X.Vrait, 2004) [2] depuis 1980 indique trois grands types d'applications :

-         en néo-natologie, particulièrement pour faciliter la construction du lien entre l'enfant prématuré et ses parents.

-         L'approche familiale globale d'une pathologie de type psychotique. L'ensemble du groupe familial est invité, par le jeu musical partagé avec le patient, puis par les reformulations verbales que cela suscite, à expérimenter la possibilité de nouvelles communications, de nouveaux équilibres relationnels, facteurs de déblocage pour le patient.

-         L'aide au groupe familial affecté par la disparition attendue de l'un de ses membres. « Les objectifs thérapeutiques sont à comprendre du coté du soutien, individuel et familial, afin de répondre aux multiples désorganisations psychiques provoquées par la maladie de l'enfant (leucémique)et ses répercussions sur l'ensemble de l'écosystème familial. » (F.X.Vrait, 2004) [3] La famille est ici invitée et aidée dans une production musicale commune, qui va symboliser et donc donner sens et rendre plus supportable la situation « d'être encore ensemble » et de devoir se séparer.

-         Ajoutons à cela un projet de travail en cours d'élaboration à l'Institut nantais de musicothérapie, visant à la prévention et à la résolution de crises relationnelles pouvant aller jusqu'à des formes pathologiques de mise en danger de soi chez l'enfant, notamment en direction des familles adoptantes et des familles d'adolescents.

Notons que ces applications concernent des contextes institutionnels divers (services de maternité, hôpitaux psychiatriques, établissements sociaux, associations), et mettent en œuvre une grande variété de dispositifs et de méthodes (un seul thérapeute ou co-thérapeutes, un seul groupe familial ou plusieurs, prise en charge commune de toute la famille, ou prises en charge spécifiques pour enfants et parents à certains moments).

Les modèles théoriques, lorsqu'ils sont explicité,sont divers, les plus fréquemment évoqués étant les thérapies de groupes psychanalytiques et les thérapies familiales systémiques.

 

Les buts de l'espace d'échanges que nous ouvrons ici sont les suivants :

-         Faire connaître des pratiques cliniques innovantes.

-         Faire avancer l'analyse des processus liant jeu sonore/musical et réaménagements affectifs, cognitifs, langagiers, conscients et inconscients, dans le groupe familial.

-         Contribuer à l'explicitation et à la discussion des modèles théoriques sous-jacents, à l'élaboration de nouvelles théorisations devenant nécessaires.

-         Contribuer à la formalisation de la déontologie requise lors de la mise en œuvre de pratiques soignantes expérimentales. Le projet de soin et d'étude doit rester rigoureusement subordonné à une garantie de sécurité offerte à la famille. (Dans ce but les communications relatives à des patients devront être ici anonymes).

 

Dans le grand nombre de questions suscitées par ces pratiques émergentes, nous proposons de dégager trois axes de recherche :

 

1-      MILIEU SONORE/MUSICAL FAMILIAL ET STRUCTURATION PSYCHIQUE

 

a/ Une meilleure connaissance de la « matrice » sonore/musicale précoce de l'enfant peut permettre de mieux accompagner certains patients lors de la reviviscence de souvenirs sonores et musicaux.

 

b/ Les expériences musicales propres à chaque groupe familial (pensons à l'importance de certaines chansons « emblèmes », à des transmissions générationnelles de pratiques instrumentales) peuvent en constituer un facteur identitaire et de structuration.

 

c/ L'espace familial dans lequel baigne l'enfant constitue enfin une interface, une « membrane » perméable par rapport à une aire « audio-culturelle », englobante, à la fois écologique (sonorités d'un environnement physique), linguistique, ethno et socio-musicale. La  capacité à percevoir cette dimension peu s'avérer « stratégique » dans le travail avec des personnes en situation d'immigration.

 

2-      LES EFFETS THERAPEUTIQUES DU JEU SONORE/MUSICAL SUR LE GROUPE FAMILIAL

 

On peut chercher à analyser plus précisément les processus à l'œuvre en se centrant sur deux types de phénomènes :

 

a/ Les modes d'adhésion du groupe familial à la proposition sonore/musicale, ou encore les modalités de « décollement de soi » par rapport à un système de fonctionnement bloqué et douloureux.

 

b/ Les effets de réaménagement de l'image de soi familiale liés aux verbalisations d'interprétation de la famille elle-même.

 

3-      ETUDE DES LIENS ENTRE CONTEXTES INSTITUTIONNELS – DISPOSITIFS – MOBILISATIONS FAMILIALES

 

L'objectif ici serait d'étudier la nature des processus thérapeutiques observables dans les groupes familiaux (de quels types, selon quel déroulement temporel, etc.), selon le contexte institutionnel de la proposition de soin ou d'aide (rôle du paiement ou de la gratuité, de la centration sur un projet de soin, d'aide socio-éducative, ou d'accompagnement humaniste, etc.), et selon le dispositif mis en œuvre (modes d'énonciation du projet, prise en charge d'un seul groupe familial ou de plusieurs travaillant en interaction dans les mêmes séances, animation par un seul musicothérapeute ou co-animation, etc.).

 

[1]     LECOURT Edith, La musicothérapie familiale ou le piano à huit mains (LA REVUE DE MUSICOTHERAPIE, vol. XXIV, n°3, septembre 2004)

[2]     VRAIT François-Xavier, Les dispositifs de musicothérapies familiales, l'état des lieux (LA REVUE DE MUSICOTHERAPIE, vol. XXIV, n°3, septembre 2004)

[3]   VRAIT François-Xavier, L'art en thérapie dans un dispositif de musicothérapie familiale, LA REVUE DE MUSICOTHERAPIE, vol. XXIV, n°2, juin 2004)

 

 

 

 


01/01/2007
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l'écoute musicale en musicothérapie: argumentaire de la recherche

L'écoute musicale en musicothérapie : 

                  argumentaire de la recherche

François-Xavier VRAIT

Directeur de l'Institut de Musicothérapie de Nantes                                                         Coordinateur des enseignements, diplôme universitaire de musicothérapie,  faculté de médecine de Nantes, Université-Formation continue

L'histoire de la musicothérapie en France fut marquée dans les années 60-70 par un courant comportementaliste dominant. Probablement d'ailleurs sans que les promoteurs des premières recherches et pratiques à cette période ne l'aient véritablement souhaité, ni que ce soit même une préoccupation de leur part.       Mais plus simplement parce que la méthodologie qui s'est imposée à ce moment-là reposait sur cette simple constatation : un patient triste ou déprimé est plus sensible à de la musique triste, et au contraire, un patient euphorique, hypomane par exemple, réagira plus facilement à une musique entrainante et rapide. Jacqueline Verdeau-Paillès écrivait alors :"Pour que le contact affectif se produise, il faut une résonance entre l'état affectif du sujet et la musique."  Il s'agissait là d'un premier pré-supposé : chaque personne reçoit la musique en rapport avec ce qu'elle vit intérieurement. Cette constatation s'est immédiatement assortie d'un second pré-supposé : chaque extrait musical contient en lui-même un pouvoir particulier, de même que les associations musicales entre elles. Le musicothérapeute doit connaître les divers effets des musiques qu'il fait auditionner. Un fichier est alors constitué, classifiant des interprétations musicales en fonction des effets produits (traités statistiquement).     La méthodologie est donc apparue évidente : donner à écouter une musique à travers laquelle le patient va se retrouver affectivement, puis,  une suite de musiques permettant de modifier cet état affectif.   Ce fut ce que Jacques Jost a appelé la "technique des trois oeuvres" qui est devenue dès lors le prototype de toute musicothérapie.

Depuis lors la pratique clinique a fort heureusement évolué. Les travaux de recherche réalisés par les professionnels, notamment dans le sillage de l'Association Française de Musicothérapie, autour de Edith Lecourt, ont permis une prise de distance considérable avec cette première période.

Nous avons, et notamment à Nantes, délimité très précisément le terrain des "techniques psychomusicales" (utilisation des effets psycho-affectifs et psycho-physiologiques de la musique) et celui de la musicothérapie proprement dit. La place du patient, celle du thérapeute, celle de la musique y sont radicalement différentes. Il ne s'agit plus de se poser la question de savoir "ce que la musique fait au patient"; mais au contraire "ce que le patient fait de la musique" qui lui est donnée à entendre. C'est lui, le patient, qui est le sujet, qui est au centre, qui est le moteur même de son prope soin, dans une expérience musicale proposée dans un cadre thérapeutique. C'est en cela, et à cette condition, que la musicothérapie peut être entendue comme une art-thérapie; c'est aussi en cela qu'elle peut être comprise comme une forme de psychothérapie.

Il n'est donc plus question de connaître, de maitriser, de savoir quel est l'impact, quels sont les effets a priori de telle ou elle musique. Il s'agira davantage de s'interroger avec le patient sur son vécu sonore, sur sa manière de vivre cette musique, sur ce qu'il ressent, sur le sens que cela revêt pour lui dans son histoire, dans ses difficultés, etc. Il s'agira d'utiliser cette expérience musicale partagée comme moyen d'expression, de communication, de structuration identitaire, et d'analyse (nous rejoignons là la défénition de la musicothérapie donnée par Edith Lecourt).

Cependant, ce changement radical de positionnement du thérapeute, centré sur le patient, n'a pas pour autant résolu la question du choix des musiques! Au contraire ! Il était plus simple de se référer à des effets escomptés, à un pouvoir exercé par telle musique, sur le plan physiologique, de la détente corporelle, ou au niveau des sentiments, des affects, des émotions.

Qu'en est-il aujourd'hui, dans la pratique quotidienne des musicothérapeutes? Comment choisissent-ils de faire entendre tel CD, tel extrait musical? qu'est-ce qui guide leur choix? quelles questions se posent-ils au moment de sélectionner une oeuvre? ...

Ce questionnement ne me semble pas vain, ni futile. Il a été relégué depuis quelques années, du fait de la précision conceptuelle au sujet de la musicothérapie, et donc de cette heureuse avancée des pratiques cliniques, centrées aujourd'hui sur le patient.

Ce questionnement peut donc revenir, sereinement, nettoyé et dégagé du soupçon concernant une possible instrumentalisation de la musique à des fins comportementales. Mais il doit revenir, car la question reste posée. Elle se pose chaque jour aux professionnels, et mérite que l'on y réfléchisse ensemble.

MERCI DE VOTRE COLLABORATION.

Très cordialement, et confraternellement,

 François-Xavier Vrait

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Merci de faire vos commentaires, d'apporter votre contribution non pas ci-dessous, mais dans la page du FORUM concernant ce thème.

 

 


07/01/2006
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Cet article est extrait d'un numéro de la Revue de Musicothérapie. Il permet de situer la recherche dans un panorama de pratiques cliniques très riche, tant dans la diversité des approches méthodologiques que par les concepts utilisés.

 

 

 

Les dispositifs de musicothérapie familiale, l'état des lieux

 

François-Xavier VRAIT

Directeur de l'Institut de Musicothérapie de Nantes

Coordinateur des enseignements, Diplôme de musicothérapie, Université de Nantes

 

 

La musicothérapie familiale demeure une pratique très marginale dans l'ensemble de la musicothérapie clinique. Sans doute d'ailleurs à l'image des autres thérapies familiales  qui, pour être plus développées, n'en restent pas moins très minoritaires, face aux propositions de  thérapies individuelles. Pourtant, les dispositifs de groupe sont majoritaires en musicothérapie, notamment en milieu institutionnel. Et les travaux d'Edith LECOURT ont permis, en France particulièrement, une précision des concepts qui aurait pu trouver un aboutissement, ou au moins ouvrir la voie à une pratique plus large de la musicothérapie en direction de groupes familiaux.

 

Pour ma part, j'ai eu l'intuition qu'un travail de musicothérapie familiale était possible, et aurait pu se révéler opérant, au début des années 90. Je travaillais alors dans un secteur de psychiatrie de l'adulte se référant largement aux théories psychanalytiques, mais récemment ouvert aux concepts systémiques, avec une petite équipe de soignants formés en la matière, et  pouvant répondre à des indications d'entretiens familiaux – non pas de thérapies familiales – pour des familles de patients, notamment schizophrènes. Et la réflexion institutionnelle m'avait conduit à penser qu'il pourrait être intéressant, et productif  dans le cadre de ces séances d'approche systémique, d'utiliser des instrument de musique, avec la consigne traditionnelle en musicothérapie: entrer en relation par l'intermédiaire des sons. Il s'agirait, dans la référence systémique, d'introduire la modification d'un élément fondamental  dans le système de communication interne, permettant une analyse de la place occupée par chacun, particulièrement du patient désigné,  des systèmes de pouvoir, d'autorité, d'échanges à l'intérieur du groupe familial.

Le contexte institutionnel n'a pas permis alors d'aller plus loin dans l'élaboration de cette idée. Toutefois, je n'avais pas perdu de vue cette perspective de travailler avec des familles, et quelques années plus tard, j'ai eu l'opportunité d'intégrer une équipe de thérapeutes, auprès de familles ayant un enfant atteint d'une leucémie, ou d'un autre cancer, et gravement déstabilisée dans son équilibre psychologique. J'en dirai quelques mots.

 

Toutefois, même si les pratiques de musicothérapies familiales restent peu nombreuses, elles existent cependant, et quelques praticiens ont eu le mérite d'écrire et de rendre publique leur expérience. C'est pour moi une manière de  rendre hommage à leur travail, que de me livrer à ce petit panorama des publications sur le sujet. Ce n'est pas un inventaire exhaustif, loin de là,

et heureusement! J'ai connaissance d'autres travaux, d'autres auteurs, dont je n'ai pu me procurer les écrits, ou n'ai pas eu le temps de les traduire. Et il semble que quelques musicothérapeutes, en France, travaillent avec des familles, sans pour autant avoir publié ni même écrit sur cette expérience. Je les exhorte à le faire, ou à rejoindre des équipes de recherche, afin qu'ensemble nous puissions faire avancer l'étendue des connaissances sur la question, et affiner notre pratique.

 

 

C'est Rolando BENENZON qui, le premier, évoque une pratique de "musicothérapie dans le groupe familial". C'est le titre d'un chapitre publié dans son "Manuel de musicothérapie", édité en langue française en 1981[1]. "C'est une technique, écrit-il, qui, si elle a vu le jour spécialement pour le travail avec les familles des enfants autistes et psychotiques, s'adapte parfaitement, dans ses grandes lignes,  à l'utilisation auprès de tout groupe familial ayant un enfant perturbé" (p.207). Ce travail consiste à adapter le groupe familial aux nouveaux canaux de communication ouverts avec l'enfant.

Les concepts utilisés viennent pour une grande part des théories de la communication et de l'école de Palo Alto, mettant en évidence un certain nombre de formes de "kystes de communication" développés dans le groupe familial; ces kystes sont "des formes répétitives et rigides de messages et d'expressions que les parents emploient avec l'enfant autiste et dont ils ne sont pas conscients" (p.207). Après en avoir défini une double étiologie, d'un côté avec une idiosyncrasie pathologique familiale propice à ce type d'enkystement, et d'un autre côté l'absence de réponse de l'enfant aux messages parentaux, BENENZON décrit  quatre formes de kystes de communication observables dans les familles d'enfants autistes:

-         kystes type A: absence de stimulus,

-         kyste type B: hyperstimulation indiscriminée,

-         kyste type C: stimulus stéréotypé,

-         et kyste type D: stimulus stéréotypé anormal. (p.209 à 213)

La plupart de ces kystes de communication sont des expressions verbales, ce qui rend opérant un abord thérapeutique utilisant un langage non-verbal.

BENENZON définit quelques règles pour le travail de musicothérapie appliqué aux groupes familiaux.

Tout d'abord, une période de travail individuel avec l'enfant autiste, afin d'ouvrir le maximum de canaux de communication, dans un dispositif de couple thérapeutique.

Parallèlement, un travail est mené avec le groupe familial en l'absence de l'enfant, pendant une durée d'un an environ. Dans ce dispositif, des tâches sont demandées à la famille, principalement sous forme d'enregistrements: "La consigne dit bien qu'ils doivent imaginer la présence de l'enfant à divers moments de la vie quotidienne et enregistrer comme ils lui parlent, ce qu'ils lui disent, comme ils le grondent ou comme ils chantent, etc." (p.216).

L'enregistrement permet de diagnostiquer le type d'enkystement en cause (A,B,C ou D). En faisant écouter cet enregistrement à l'enfant, on observe ses réponses face aux voix paternelle et maternelle. Plusieurs mois après, une expérience similaire est demandée aux parents, puis à l'enfant. C'est alors l'occasion pour les parents de prendre conscience des difficultés et des stéréotypies dans la communication avec leur enfant, et de les verbaliser. Cela permet aussi aux thérapeutes de mieux percevoir les capacités du groupe familial à rompre avec cet enkystement de la relation, et à préparer la famille au travail commun avec le couple thérapeutique et l'enfant.

C'est le troisième temps dans la thérapie, intégrant l'ensemble du groupe familial dans l'expérience.

C'est un contrat dans un temps limité, quatre séances sur un mois, pour éviter trop de résistance de la part des parents. Les consignes sont simples: "Nous allons essayer de chercher des formes de communication avec votre enfant". La séance comprend trois temps: un temps d'observation du type de communication entre les parents de l'enfant;  un temps de démonstration durant lequel le musicothérapeute travaille avec l'enfant comme à l'accoutumée, afin que les parents voient les progrès réalisés par l'enfant, observent et comprennent les nouveaux canaux de communication ouverts avec leur enfant; et enfin une étape d'intégration, dans laquelle les parents sont invités à participer au travail avec le musicothérapeute (p.214 à 220) .

BENENZON conclut en précisant qu'avec cette technique non-verbale, "nous pouvons diagnostiquer les kystes de communication, et, sans produire de résistances, parvenir à les briser puis à rétablir une structuration pouvant servir à la récupération de l'enfant. Avec le temps nous avons pu modifier notablement les règles de conduite du groupe familial, si bien que Sili [il fait référence ici à un exemple clinique] réussit à ouvrir de nombreux canaux de communication affectifs, expressifs, de perception et de compréhension" (p.226).

Dans son ouvrage plus récent (Théorie de la musicothérapie à partir du concept de l'ISO, Ed. du non-verbal, 1992), Rolando BENENZON ne fait que citer le groupe familial dans les champs possibles d'applications de la musicothérapie (p.78), mais sans s'attarder cette fois.

 

 

En 1993, le docteur Lorenzo AMARO MEDINA publie à Barcelone un ouvrage intitulé Les propriétés thérapeutiques et éducatives de la musique[2], dans lequel il développe un certain nombre de techniques thérapeutiques et de méthodes de musicothérapie, regroupées sous le sigle "système LAM" (comprendre: "Lorenzo Amaro Medina"). Il s'agit de techniques à forte composante comportementaliste, parmi lesquelles un chapitre  est consacré à la musicothérapie familiale, malheureusement sans exemple clinique: "Dans quels cas utiliserons-nous la musicothérapie en famille?". Les réponses sont nombreuses et laconiques, et nous aurions aimé avoir plus d'explications sur leur mise en œuvre! :

"

-         quand l'atmosphère est un peu altérée

-         il faut se lever un dimanche et personne ne se réveille (musique stimulante)

-         combat de fratrie (musique relaxante progressive)

-         situations d'hystérie (musique relaxante)

-         manque d'enthousiasme pour faire quelque chose (musique stimulante)

-         situations conflictuelles – travail, fiançailles, ami - (musique intégrative)

-         pendant la sieste (musique intégrative)

-         pendant les repas (musique intégrative)

-         pendant la lecture (musique intégrative)

-         pendant les travaux manuels (musique intégrative)

-         pendant les travaux ménagers  - repassage, couture, etc – (musique mi-stimulante ou stimulante)

-         dans les moments où il faut conseiller ou orienter les enfants (musique relaxante et intégrative)" (p.113)

 

Devant ces nombreuses (!) indications, les techniques préconisées sont aussi très larges:

"

-         la psycho-expression libre et toutes ses variantes

-         l'un joue un instrument de musique et les autres dansent ou l'accompagnent

-         danser sur une musique préalablement choisie et qui plait au groupe

-         utiliser d'autres types de musiques comme la relaxante, l'intégrative, la stimulante, etc.

-         toujours prendre en compte la situation et la nécessité." (p.113)

 

A peu près à la même époque en France, Jacques JOST, dans son ouvrage Equilibre et santé par la musicothérapie[3], donne des conseils éducatifs aux parents, quant à l'éveil musical des enfants, ou sur l'écoute musicale en famille lors de diverses activités "Dès la naissance, des musiques spécifiques peuvent favoriser l'endormissement et le réveil de l'enfant. De très belles comptines sont souvent fort appréciées" (p.173). Là encore, aucune précision n'est donnée, et nous semblons être bien loin en fait d'une véritable pratique clinique!

 

 

D'autres auteurs vont donner un certain nombre de précisions sur la teneur de leur travail, ce qui  nous permet une étude un peu plus approfondie, que ce soit dans la méthodologie, les indications, ou les références théoriques.

Nous allons poursuivre avec des professionnels s'adressant à la périnatalité, c'est à dire soit à des couples dont la femme est enceinte, soit à des nourrissons prématurés.

 

Sylvie BRAUN publie en 1999 dans la Revue de Musicothérapie un article intitulé L'être avec: relation d'aide et de soutien au Service de Néonatalogie au bénéfice du prématuré et de ses parents[4]. De fait, l'approche thérapeutique d'un très jeune enfant, un nourrisson – a fortiori prématuré – va associer ipso facto les parents dans la prise en charge.

"Fabien est un petit prématuré de 26 semaines (1900 gr.), son état d'anxiété permanent (mouvements très agité) retient toute mon attention. Déposant le lecteur de cassettes près de la couveuse, je  commence le massage sur une musique mélodique et qui, par son rythme régulier, renvoie à l'image de "la mer". La "mère" de Fabien est présente, je la sens elle aussi anxieuse, tendue, ses mouvements, comme ceux de son fils sont très agités. Lorsque musique et massage sont terminés, pendant que je réinstalle dans la couveuse l'enfant, qui lui est devenu calme, détendu, elle me paraît encore plus anxieuse… silence…  puis des larmes… "Je n'ai jamais eu de mère" finit-elle par dire, "tout m'a toujours manqué, ce qui me fait encore plus mal, c'est de ne pas me sentir mère pour mon enfant".

Quelques temps après, cette mère a accepté de faire elle-même le massage sur son enfant, toujours sur la même musique, ses gestes sont devenus plus précis, plus maternels. Il semble qu'elle ait pu acquérir une image d'elle, différente. Ce qui m'apparaît essentiel, c'est le changement d'attitude de cette mère envers son enfant: elle est parvenue à lui transmettre des sentiments, des caresses, alors qu'il y avait "blocage".

En verbalisant ses difficultés à l'aide de la musique médiatrice, en "réparant" par le geste, cette mère a pu "amorcer" son rôle de mère, s'identifier en tant que tel, et pouvoir mieux aimer son enfant.

Nous pouvons penser que la musique favorise une approche subjective, devient alors un moyen privilégié d'aborder l'inconscient, libère ses sources affectives et fantasmatiques et en facilite la verbalisation. La musique semble jouer un rôle important en reliant l'image visuelle à l'émotion, la représentation et l'affect dans un sens plus large." (p.37)

 

Ce récit de Sylvie BRAUN me semble particulièrement évocateur de cette forme de travail auprès d'un enfant prématuré en présence de la mère.

-         Il s'agit en effet d'une action directe auprès de l'enfant, par le massage sous induction musicale.

-         Cependant la maman est présente, et c'est chez elle que s'effectue le travail psychique; je dirais même que c'est là qu'il est attendu, et qu'il pourra être accueilli, contenu, et élaboré avec la musicothérapeute.

L'évolution se révèle favorable, et va permettre à cette maman d'entrer en relation avec son enfant, alors même que les circonstances de l'accouchement et les nécessités médicales de la prématurité avaient  fait barrage aux liens affectifs et langagiers constitutifs généralement des ces premiers moments d'interactions précoces, en même temps qu'ils avaient réactivé chez la maman les déficits et failles narcissiques de sa propre enfance.

 

Plusieurs années avant, en 1990, Elisabeth DARDART avait elle aussi publié un article dans La Revue de Musicothérapie, dans le même domaine de pratique clinique[5].

"J'ai proposé aux parents d'apporter des cassettes de musique écoutée pendant la grossesse ou bien des œuvres qu'ils aiment et souhaitent faire entendre à leur bébé. Le but recherché: impliquer les parents dans le vécu quotidien hospitalier de leur bébé. Ils apportent ainsi une touche personnelle et affective, reconnue et souhaitée par le personnel. D'observer leur bébé écoutant leur musique offre aux parents une autre relation que celle liée à l'angoisse de la maladie. La découverte de ses réactions à la musique est souvent source de grande émotion. Ils voient leur "petit" être attentif, sourire, avoir des mouvements harmonieux ou bien s'endormir paisiblement. Ils reprennent confiance dans les capacités de leur bébé, lui parlent, le touchent, reconnaissent ses différentes réactions ou humeurs: la craint de le réveiller ou le déranger fait place à une plus grande spontanéité envers lui." (p.43)

"Des parents amènent la musique de leur pays, de leur région, nous expliquant ainsi les coutumes et traditions liées à la naissance. D'autres mamans enregistrent des berceuses ou improvisent des chansons à l'intention de leur bébé. Ici la musique crée une enveloppe culturelle dans laquelle parents et bébé se retrouvent;  mais elle est aussi un pré-texte, un lieu où la parole s'échange, où le dialogue s'établit" (p.44)

Elisabeth DARDART met donc elle aussi en avant l'importance de cette approche pour recréer cette enveloppe commune entre parents et enfant, bain sonore et musical, bain culturel, bain langagier, tout ce processus mis à mal par les nécessités médicales et les barrières relationnelles imposées par la couveuse.

Mais elle pointe aussi les effets structurants de la musicothérapie sur le bébé lui-même.

"Nous sommes confrontés à deux aspects difficilement dissociables: l'impact de la musique sur le nouveau-né et l'investissement affectif des parents. Cela rend délicate une analyse rigoureuse de l'effet de la musique sur le bébé. Mais nous pouvons affirmer que, dans la mesure où elle est un agencement structuré de sons, qu'elle touche à l'affectivité et au corporel (perception vibratoire des sons), elle ne peut que présider à la structuration affective et corporelle du nouveau-né ainsi qu'à celle des liens parents-enfant. (p.44)

Et elle conclut:

"En outre, la musique (le son, la voix…) ainsi que le massage (toucher, perception cutanée…) ne sont pas de simples intermédiaires à la relation, mais de réels constituants des enveloppes psychique et physique de l'enfant." (p.45).

 

Pour rester dans la domaine de la périnatalité, nous allons nous arrêter un instant sur les travaux d'Anaïs de TINGUY-SIMON, auprès de femmes enceintes dans le cadre de la préparation à l'accouchement[6].

Difficile alors de na pas prendre en considération la dyade mère-enfant! Mais Anaïs de TINGUY-SIMON ouvre aussi cet espace à la présence du père. Elle travaille dans une piscine, avec une psychologue, une sage-femme et une psychomotricienne. C'est à la fois une approche très classique de préparation à l'accouchement, façon sophrologie, avec une importance donnée au souffle, à la respiration, et à la voix chantée, ce qui permet

-         de développer la capacité respiratoire de la maman,

-         de parfaire l'oxygénation du bébé,

-         et de constituer un ballet aquatique avec le papa, en produisant sa propre musique vocale.

Les effets d'une telle préparation à l'accouchement sont multiples,

-         évitant souvent tune épisiotomie,

-         rendant superflue la péridurale,

-         diminuant considérablement la durée de l'accouchement.

"Le son grave aide à ouvrir le col, diminue le temps de travail de 2 à 4 heures, ce qui est considérable" (p.54)

Les voix du père comme de la maman sont utilisées dans la séance. Citons Anaïs de TINGUY-SIMON commentant une vidéo de son travail.

"Pour produire ce son grave, et pour aider à cette sensation de vibration jusque dans le bas du dos, il faut qu'elle se détende. Le col a besoin que la maman soit détendue. Si les lèvres de la maman sont crispées, le col en bas lui aussi est crispé. Si on arrive déjà à desserrer les lèvres, à les ouvrir… je dis au papa: ce qui détend le mieux les lèvres, c'est le baiser. Ne vous en privez pas! Et en général, ils aiment bien cela." (p.55).

"Puis, c'est le moment de la "ronde portée et chantée" , en appui sur les genoux pour soulager la colonne. Et on essaie de faire des sons graves au ras de l'eau, chacun fait sa note grave. La ronde est faite de balancement, de bercement et de rotation.

"Voilà la relaxation. On essaie d'avoir un toucher vraiment délicat, les mamans étant bien appuyées. On n'a pas besoin de porter, on soutient. Regardez la papa qui chante pour le bébé, et on voit le bébé qui vient vers le papa. […] Quand le papa voit le bébé se diriger vers sa voix, c'est très émouvant, ça produit beaucoup d'émotion." (p.55)

 

Ce type d'approche - que nous pouvons associer davantage à une psychoprophylaxie qu'à une thérapie – stimule l'attachement. Et l'attachement pourrait constituer ensuite,  pour Anaïs de TINGUY-SIMON, "la meilleure prévention des maltraitances". (p.55)

 

Dans le même domaine de pratique auprès de futurs parents, nous trouvons aussi le travail de Marta GROSMARK, en Argentine[7]. A la différence près cependant qu'Anaïs de TINGUY-SIMON se décrit avant tout comme sophrologue, alors que Marta GROSMARK est musicothérapeute, et les séances qu'elle propose sont annoncées en tant que musicothérapie. Son action repose sur les travaux de Françoise DOLTO, mais s'appuie aussi les expérimentalistes ayant mis en évidence les modes de perception fœtale, et les formes de mémoire développées par le fœtus.

Le travail se fait en groupe, essayant au maximum toutefois de respecter les particularités de chaque couple quant à ses modes d'expression et de communication. Les résistances ou les difficultés de départ tombent généralement rapidement, en utilisant des musiques enfantines, mais aussi des cerceaux, balles, rubans, instruments de musique, créant une enveloppe de sons, de mots, de scènes, qui serviront à la construction du groupe. Cela permet aussi à chacun de se connecter avec ses propres expériences infantiles. "Il est intéressant d'observer, dans un cadre musicothérapeutique, ces scènes de jeu, qui sont très riches du fait de la multiplicité des interactions remontant au  sonore-préverbal." (p.511). Le rôle du musicothérapeute consiste à relever et prendre en compte ce qui émerge, que ce soit dans les structures sonores et groupales, et d'en permettre le développement et la structuration, à partir des jeux corporels, verbalisations, dessins, jeux sonores, vocaux, etc. Certains moments sont réservés à des échanges du groupe autour des questions qui se posent sur la grossesse, les inquiétudes des parents, ce que le bébé peut percevoir, entendre, etc. C'est dans ce climat qu'est proposé alors de créer des petites chansons à l'intention du bébé. En s'appuyant par exemple sur une mélodie connue  pour commencer. Puis la manière de composer a chanson se complexifie à chaque fois. En partant d'un rythme proposé par un couple, ou d'un texte. "En tant que musicothérapeute, mon rôle est d'accompagner ces parents pour qu'ils se découvrent créatifs, créateurs pour leur enfant." (p.513).

Et puis "ces chansons sont transmises au bébé avec des tubes de PVC terminés par une embouchure qui augmente le diamètre de diffusion sur la paroi abdominale de la mère. C'est généralement le père qui est chargé de chanter. Leur participation déploie chez eux un sentiment de fierté et de bien-être. Leurs commentaires font comprendre combien ils se sentent plus proches de leur enfant. Ils répèteront cette expérience dans les premiers jours suivant la naissance, mais sans utiliser d'instruments de transmission." (p.516)

Marta GROSMARK donne quelques exemples de chansons composées dans ce cadre, et conclut en présentant des résultats de ce travail.

"Dans la majeure partie des cas exposés, depuis la naissance du bébé, l'homéostasie familiale a été rapidement trouvée. Les bébés ont donné des signes de communication facilement décodables par leurs parents. L'état d'éveil a été très actif et réceptif. Les temps de sommeil ont été plus longs qu'il est généralement observé dans cette période post-natale. Le lien symbiotique, tout comme la lactation, ont été vécu avec aisance." (p.521).

Marta GROSMARK précise que dans cet espace, conçu spécialement pour les parents vivant un manque de communication avec leur bébé in utero, ils peuvent créer du lien avec lui, éprouver la nécessité d'être et de sentir parents, se sentir plus aptes à développer cette fonction parentale, par une plus grande approche émotionnelle de leur bébé. Il s'agit de les aider à vivre cette situation nouvelle, et à diminuer leur anxiété.

 

 

Nous allons maintenant laisser les problématiques de la périnatalité, pour aborder les travaux de musicothérapeutes prenant en compte, d'une manière ou d'une autre, soit une problématique familiale dans son ensemble, soit en intégrant des membres d'une famille dans un cadre et un processus thérapeutiques concernant au départ l'un des leurs, le plus souvent un enfant.

 

Fausto RUSSO, psychiatre et musicothérapeute à Naples, travaille avec des familles, en tant que thérapeute familial.

Pour illustrer son travail, Fausto RUSSO[8] prend l'exemple de cette famille, de cinq personnes, alertée par le comportement du fils aîné de 24 ans, qui vient de rompre subitement ses études, s'enferme à la maison, et tombe progressivement dans un état dépressif. Le père est surtout centré sur lui-même, la sœur est sur-protectrice et elle-même sujette aux états dépressifs, la mère, froide et distante, est consciente du malaise, et tente de faire vivre tout le monde ensemble; le jeune frère semble investi de la tâche d'être un exemple pour son frère aîné. Le thérapeute a vu la famille trois fois dans un cadre de thérapie à orientation systémique, mais se rend compte que si une dynamique de travail est possible, c'est seulement sur le plan intellectuel, mais qu'elle n'est pas en mesure de vivre cette dynamique au niveau émotionnel. Il va donc, dans les séances suivantes, demander à ses patients de communiquer à travers des sons,  à la place des mots. Les sons, dit-il, sont des signes immédiats, prêts pour l'expression des émotions, sans médiations logico-linguistiques. La production de sons peut être utilisée pour créer un contexte interactif et permettre à chaque individu de trouver sa propre position, dans le respect des autres. A ce stade, la technique systémique est capable d'introduire des éléments de changement chez l'individu.

A partir de la treizième séance, le thérapeute annonce à la famille que dans la première partie de la séance, chacun pourrait communiquer en utilisant des instruments, et que dans une deuxième partie, ils pourraient parler au sujet de ce qui s'est passé. Les réactions sont essentiellement défensives. La mère: " Docteur, êtes-vous vraiment capable de comprendre ce qui va se passer lorsque nous louerons de la musique?". Le fils aîné: "Ce ne serait pas mieux d'écouter plutôt de la musique?". La soeur: "Je suis curieuse de voir ce que mon frère sera capable de faire avec la musique". Ce qui amène le thérapeute a proposer un niveau alternatif, avec un temps de découverte des sons des différents instruments. Puis ensuite, de proposer la situation réelle.

Quelques étapes ont ponctué cette thérapie.  Une première étape du côté de la dévalorisation. "C'était mieux de ne pas envoyer de message, parce que l'autre n'était pas capable de me comprendre." Des sons isolés, chacun jouant dans son coin.

Une seconde étape durant laquelle chacun envoie des injonctions dispersées, "vas-y, fais-le, qu'est-ce que tu attends…" L'adaptation au temps de l'autre fait défaut, ne lui donnant pas le temps d'élaborer une réponse. Chacun essaie de conquérir l'espace sonore, soit en étant le leader et en augmentant le volume sonore, soit en prenant de la distance vis à vis du leader.

Dans une troisième étape, il a été possible d'arriver  à une reconnaissance de l'identité de l'autre. Un langage commun s'est structuré entre les patients, avec la possibilité d'utiliser une ponctuation (des pauses), la construction de phrases mélodiques, le choix de rythmes.

Fausto RUSSO a pu observer des progrès dans différents domaines,

-         la prise de conscience des ses capacités expressives

-         la conscience de ce qui se passe chez l'autre

-         la capacité à élaborer une production sonore

-         la réceptivité et l'élaboration d'un son proposé par l'autre

-         l'usage du corps pour produire des sons, et se mouvoir dans un espace

-         la construction de phrases mélodiques en utilisant la voix

-         la non-dépendance vis à vis de l'aide thérapeutique

-         l'imitation intégrée (digérée) d'un son proposé

-         la capacité à être soit conducteur, soit  imitateur

-         la possibilité d'utiliser des alliances inhabituelles pour obtenir des formes nouvelles de sons

-         etc.

Il s'agit donc là d'une forme de musicothérapie, intervenant dans un contexte de thérapie systémique. "Dans certains cas, commente Fausto RUSSO, je donne la possibilité aux membres de la famille d'utiliser un langage sonore, en tant que celui-ci permet une communication immédiate. Les résultats que j'obtiens résident en un temps plus court du travail clinique (environ 10 séances au lieu des 20-25 séances requises dans la démarche de thérapie familiale habituelle). Mais au-delà de cela, les membres de la famille deviennent plus aptes à entrer en contact avec leurs émotions, et à les exprimer plus 'immédiatement'"[9]

 

 

En Suisse, nous avons les travaux de Heidi FAUSCH-PFISTER, qui travaille avec des enfants qui lui sont confiés par les services de psychologie scolaire, pour des difficultés d'apprentissage, ou des troubles du comportement, angoisse, dépression, menaces de suicide, ou manifestant des intolérances au système scolaire. Selon les cas, Heidi FAUSCH proposera

-         une musicothérapie individuelle, et des entretiens réguliers avec les parents, lorsqu'il s'agit  de situations de conflits, ou suite à des drames familiaux, et lorsque l'enfant a besoin de se sentir en sécurité,

-         une musicothérapie de groupe, et des entretiens familiaux, dans le cas de troubles relationnels, de situations d'angoisse, d'insécurité, ou des troubles identitaires,

-         une musicothérapie individuelle pour l'enfant, associée à une musicothérapie familiale toutes les 4 ou 8 semaine, lorsque les troubles apparaissent de manière plus précoce. Il s'agit alors de permettre à l'enfant de faire de nouvelles expériences dans la relation duelle avec la thérapeute, puis de pouvoir développer ainsi de nouvelles compétences lors des séances familiales. (Comme nous avons pu le voir avec BENENZON),

-         une musicothérapie familiale, lorsque les problématiques concernent la triangulation,  des secrets familiaux, des traumatismes graves touchant la famille – décès tragiques, guerre…), une confusion générationnelle, des troubles dans la communication intra-familiale, dans le cas d'un enfant handicapé ou gravement malade;

-         ou enfin une musicothérapie père-fils, ou l'enfant et un parent, lorsque la relation à trois n'est pas établie, en cas de trouble d'identification, lorsqu'un déficit communicationnel est avéré entre père et fils, lorsque le père ne sent pas capable de jouer avec son fils, etc.

 

Heidi FAUSCH relate une musicothérapie familiale réunissant les parents et leurs deux garçons. M., 10 ans, fait régner la terreur à l'école, ne veut plus apprendre, martyrise son frère, et n'obéit plus à sa mère, qui se sent complètement dépassée. Le père travaille en équipe et doit souvent dormir en journée. La vie est rythmée par son sommeil. Les enfants ne doivent pas faire de  bruit.  Mais M. est est souvent dans la provocation, trouble le sommeil de son père, qui en fait le reproche à la mère. Quant au jeune frère B., qui a 8 ans, il est sage comme un ange, calme, obéissant à sa mère,  et bon élève.

Après un entretien préalable avec les parents, les enfants sont tous deux prêts pour une thérapie familiale.

 


02/01/2007
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Jean-Pierre AUBRET: LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LA MUSICOTHERAPIE


06/12/2008
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Première séance:

Heidi FAUSCH explique le cadre: M doit choisir un instrument pour chaque membre de sa famille et sa famille, en contrepartie, doit se comporter comme lui le veut.

Le jeu musical:

M donne à son père un gros accordéon. Pour lui, il choisit le plus petit. Il donne un tambourin à son jeune frère et une toute petite flûte de pan à sa mère. La maman est indignée, elle ne veut pas de la petite flûte. Je lui conseille de prendre l'instrument que M a choisi pour elle et d'en parler seulement quand le temps de parole commencera. Elle pourra alors exprimer comment elle s'est sentie avec cette flûte dans l'orchestre familial.

Le père et M jouent ensemble, mais se disputent aussi musicalement avec l'accordéon. Le jeune B joue pour lui seul un rythme sur le tambourin. La mère essaye désespérément de garder le contact avec la petite flûte de pan. Pas de chance: les accordéons sont trop bruyants, on n'entend rien de la petite flûte. De temps à autre, elle est prise en considération par B.

Le temps du feedback:

Le père et M ont eu du plaisir à jouer ensemble et à se quereller. Les deux sont contents. B n'a eu aucune envie d'y participer et a joué pour lui. Cela lui est habituel. Avec sa mère, il a trouvé que c'était bien de jouer ensemble, même s'il l'a peu entendu à côté des deux accordéons. La mère dit que dans cette famille, c'est la même chose. Le père se dispute et fait du bruit avec M. B se replie sur lui-même et elle est perdue au milieu. (Elle est au bord des larmes en énonçant cela). Parfois elle en a marre de tous et se demande si elle ne va pas partir.

Deuxième séance:

La mère se manifeste en premier et se plaint : M ne veut pas lui obéir et elle se sent sans valeur et superflue. Le père était très intéressé. Je propose que les parents jouent ensemble pendant que j'écoute les deux fils. Les deux parents font du tambour ensemble. La mère sourit tout d'abord puis se met à pleurer. Le père la prend dans ses bras. Les fils regardent comme subjugués.

Le temps de parole:

Les parents n'avaient plus depuis longtemps rien entrepris ensemble. La mère commence à manifester ses besoins. Le couple parental voudrait se planifier un week-end en tête à tête, ont cependant peur que M refuse d'aller chez ses grand-parents ou "se mette en grève". Nous expliquons la situation à M. Celui-ci ne veut pas quitter ses parents. Les deux parents, spécialement aussi le père, doivent lui dire, dans le cadre de la thérapie, que ce n'est pas possible et qu'ils partiront sans lui. Le père commence à soutenir les besoins de la mère et M à aller contre son père et ne plus être son copain.

Dans les séances suivantes:

S'ensuivent d'autres jeux musicaux : "Le matin quand le père dort", "Le duo M et B", "Le nouvel orchestre familial"…  le père accompagne la mère, la mère accompagne le père. Chacun doit jouer un solo, accompagné par le reste de la famille.

La nouvelle solidarité entre les parents et leur prise de responsabilités permirent à M un rapide changement de comportement. La mère commença à assurer une nouvelle place au milieu des trois hommes. M recommença à apprendre à l'école et à jouer avec son frère. B et le père se rapprochèrent.

Après six mois environ, la famille avait trouvé un nouvel équilibre qui dure encore aujourd'hui (six ans après).

 

 Un des derniers ouvrages paru en anglais est le Manuel de musicothérapie (the handbook of Musictherapy) de Leslie BUNT et Sarah HOSKYNS, publié en 2002, à la fois en Angleterre, aux Etats Unis et au Canada. Cependant, il s'agit d'un travail essentiellement britannique, Leslie BUNT dirigeant le diplôme de musicothérapie de l'Université de Bristol, Sarah HOSKYNS étant à la tête d'un Département de musicothérapie dans une École de Musique et de Théâtre à Londres. 

Un des chapitres est consacré à une étude de cas, relatée par Leslie BUNT, et le récit de cette musicothérapie met en évidence l'importance, dans le cadre des séances, de la place de la maman d'une jeune enfant présentant des traits autistiques, Suzanna, "Nous pouvons lire ici en quoi la présence de la maman de l'enfant donne un aspect caractéristique au déploiement de l'histoire. La thérapeute a décidé d'approcher la nature complexe des difficultés de communication de l'enfant en facilitant le plus de communications musicales possibles entre la mère et l'enfant " (p.72-73).

Suzanna arrive en musicothérapie à l'âge de 3 ans 2 mois, sur indication d'un pédiatre. La thérapie va durer 22 mois, en 64 séances hebdomadaires, jusqu'à son entrée à école à plein temps, lorsqu'elle aura 5 ans. Sa mère était partie prenante des séances, et ses propres observations sont consignées.

Dès la première séance, la maman a pu observer ce qu'elle décrira plus tard comme une expression de colère de Suzanna lorsque celle-ci s'est trouvée en difficulté pour atteindre une cymbale suspendue, du fait d'un manque de contrôle physique. Sa maman décrit cela comme un "plus", cette colère étant prise dans une activité acceptable. C'était la première fois qu'elle voyait Suzanna exprimer une émotion aussi clairement." (p.73-74)

Le récit de la thérapie se poursuit, Suzanna étant invitée à utiliser divers instruments, Leslie BUNT étant attentive à la manière dont l'enfant explore chacun d'eux, prends des initiatives, imite, initie plusieurs tempos, intensités et qualités de sons…

Le déroulement de la séance 30 est entièrement présenté. Nous pouvons y suivre le cheminement de Suzanna, celui de sa maman. Celle-ci encourage sa fille à s'asseoir en début de séance, alors que la thérapeute s'installe au piano. Suzanna fait signe à la thérapeute de commencer à jouer, ainsi qu'à sa mère. Elle lui donne une baguette. Etc. Un certain nombre d'interactions sont ainsi décrites, à l'instigation de l'une ou de l'autre, utilisant les instruments, la voix, les déplacements. Elles chantonnent quelquefois ensemble. A un moment, Suzanna remue la main de sa mère sur le rythme d'une musique. Peu à peu, une excitation s'empare d'elle, elle s'agite, et vocalise en direction de sa mère, qui est allée s'asseoir derrière les instruments. La musicothérapeute lui donne une autre baguette et s'installe elle-même au piano. Le jeu est fort et soutenu. Suzanna vocalise et joue du tambour. Elle tend une baguette à sa maman et commence à l'inclure à nouveau dans son jeu, avec des rires. La séance se termine ainsi. (p.76).

Peu à peu, et au long des séances, la musique de Suzanna commence à changer, à se développer. Sa maman elle, commence à faire des liens entre la manière dont sa fille évolue dans son jeu musical, et dans son développement général en dehors des séances.

-         Du côté d'une mise en confiance, progressive.

Avec des moments d'ambivalence, de retrait, de repli, qui sont pris en compte dans le processus de la thérapie, et compris comme des temps d'assimilation de ce qui constitue pour elle de nouveaux modèles de comportements. Et la maman note: "L'attirance de Suzanne pour la musique lui fait utiliser celle-ci comme un moyen non-verbal de contact avec nous. Son confiance en Leslie et au cadre des séances a pu augmenter sa capacité à utiliser ce chemin pour accepter des petits changements, et éventuellement à les appliquer en dehors des séances. Elle n'avait pas eu grand "succès" dans ses rencontres avec d'autres jusqu'à ce qu'elle ait utilisé la musique comme une forme de communication. (p.77)

-         Dans son rapport aux instruments.

Elle préfère regarder les instruments, plutôt que directement les deux adultes. Cette communication indirecte, non-confrontationnelle, a aidé à évaluer les limites de Suzanna en terme de ressenti et d'émotion. Sa maman commente: "Suzanna était terrifiée par les sons forts, aigus. En utilisant les instruments, elle a découvert qu'elle pouvait contrôler les sons, et en fut donc moins effrayée. Cela a atténué sa crainte du monde." (p.77)

-         Dans son regard et sa communication directe.

Partant de situations de jeu côte à côte, au piano, ou sur un xylophone basse, ou assise sur les genoux de sa maman, Suzanna a pu progressivement tolérer les déplacements de la musicothérapeute, allant d'un instrument à un autre. Du fait même, des contacts par le regard sont devenus possibles. Elle commençait à permettre que la musicothérapeute interfère dans son monde musical interne. Sa maman ajoute: "Suzanna a utilisé les instruments comme tampon dans son contact avec Leslie et moi. Quand sa confiance dans la situation s'est accrue, ses tentatives de contact visuel et de communication verbale directe se sont aussi développées."

-         Dans le développement de vocalisations.

A un certain moment, Suzanna commence à ouvrir la bouche, comme pour produire un son. Un travail avec des petits cors en roseau (utilisés dans la méthode Nordoff-Robbins) lui a  permis d'utiliser sa voix plus en confiance. Elle accompagnait ses vocalisations de gestes de la main. Peu à peu, les sons se sont épanouis en variété, longueur, fréquence. Sa maman a noté cette progression: "Le premier son verbal de Suzanna a été "Da". Elle l'a émis quand elle a compris que vous espériez une réponse. […] Elle a réalisé aussi que tout son était acceptable. Il n'y avait pas de mauvais ou de bons sons." (p.79)

-         Dans les échanges réciproques.

Les moments de jeux interactifs se sont peu à peu développés. Suzanna a pu jouer autour d'un grand tambour avec la thérapeute; elles se passaient les baguettes. Et puis la maman a pris part à ce jeu. Suzanna commence alors à accepter cet échange d'activité, et de passer aussi les baguettes à sa mère, qui commente: "Qu'elle me permette de jouer avec elle a été un grand moment pour moi. Qu'elle devienne ainsi plus à l'aise avec ces situations, trouver  du plaisir dans ces échanges a vraiment été un tournant pour nous."

-         Dans le développement de l'organisation.

Suzanna a commencé à faire des liens dans l'organisation des séances, qui ont un début, un milieu, une fin. Chaque instrument a de baguettes qui lui sont propres. Elle devient capable de planifier l'ordre des activités. Sa mémoire des détails devient plus évidente au fur et à mesure que les séances avancent. Et elle acceptent aussi des modifications dans l'ordre établi.

-         Dans l'expression des émotions et des besoins

Dès le départ, on observe que la musique est une manière pour Suzanna d'exprimer ses émotions. Mais à la fin, il lui est possible d'exprimer une palette d'émotions depuis l'excitation jusqu'au calme. La musique ne lui permet pas seulement d'accéder à ses émotions, mais c'est aussi pour elle une manière de les exprimer dans une forme contenue et communicative. Sa maman témoigne de la manière dont Suzanna a utilisé la musique pour exprimer ses émotions et communiquer ses besoins: "Elle ne manifestait jamais ses émotions: heureuse, triste, en colère. Elle était juste OK ou non OK. La première fois que j'ai vu Suzanna se mettre en colère a été lorsqu'elle essayait de répéter un son que Leslie venait juste de lui montrer sur une cymbale. Le premier calin que j'ai reçu a été pendant une séance, alors que le violon jouait. Les sons des tambours l'exciteraient, celui du piano la rendrait plus attentive." (p.80)

-         Dans le développement de l'imaginaire et du jeu symbolique

Durant les dernières séances, il y a eu l'introduction de jeux comme des renards ou des ours, en tant qu'objets intermédiaires; ils pouvaient être inclus dans la musique, Suzanna jouant avec eux, écoutant leurs "réponses": ils pouvaient être invités à jouer eux aussi. Sa maman commente: "L'utilisation de la poupée pendant une séance n'était pas intentionnelle, du fait qu'elle ne l'avait jamais utilisée avant. Elle la portait seulement. Voir le renard aider les baguettes à jouer, et le voir sauter lorsqu'elle tapait sur le tambour a enchanté Suzanna. Elle a utilisé le renard pour faire quelques petits jeux avec ses sœurs. C'était la première tentative pour jouer avec ses sœurs." (p.81)

-         Dans le développement de l'écoute et d'une relation étroite avec sa maman.

La présence d'un étudiant en musicothérapie jouant du violon a créé l'opportunité d'une écoute de musique pour Suzanna. Elle restait assise en écoutant le violon. L'écoute musicale a permis aussi des moments de contacts étroits avec sa maman, qui confie que ces instants sont rares. "Suzanna n'aimait pas être assise sur mes genoux., faire un calin, donner sa main ou même être touchée. Ma place (dans les séances) était d'être assise près d'elle, et pour elle d'être capable de se cacher derrière moi. Au cours des séances, elle s'est autorisée à prendre part aux échanges, aux contacts visuels, en voyant ma réaction à ce qui arrivait, et alors en réagissant à mes réponses. En réalité sourire et se faire plaisir en prenant part à une activité de groupe est une magnifique avancée pour Suzanna." (p.81)

 

Cette forme de travail, tourné indubitablement vers l'enfant, mais donnant à la mère une place très importante dans le jeu musical au cœur des séances, mais aussi dans les échanges et le travail d'évaluation et d'élaboration du thérapeute, me semble assez significatif  et intéressant dans les dispositifs de musicothérapie familiale que j'ai pu répertorier.

 

Dans ce dispositif thérapeutique à trois, il faut noter les travaux de  Anne SEYTTER se référant  à ABELIN et son concept de triangulation précoce : ABELIN encourage un travail effectif dans un dispositif de triade (triadic setting), mère-enfant-thérapeute. L'enfant de 18 mois a développé nombre de relations individuelles caractéristiques d'une  « relation en miroir ». Mais il fait maintenant l'expérience que le père et la mère sont aussi en relation l'un avec l'autre. Et que dans cette situation, il se ressent comme mis de côté, sans possibilité d'interagir dans cette relation, puisqu'il n'y a personne dans le miroir en face. Il ne peut rien faire, mais il peut reconnaître son propre désir frustré dans l'action de son rival. Pour ABELIN, cette expérience signe le passage de « l'imitation inconsciente de l'objet symbiotique » à « un désir pour l'objet », en même temps que la découverte du soi (self). C'est ce qu'ABELIN appelle la « triangulation précoce ».

Anne SEYTER s'appuie aussi sur les travaux de Mickaël ROTMANN[4], qui met en évidence l'importance des relations affectives entre le père et la mère pour un développement progressif  de l'enfant dans les premières années de sa vie. L'expérience positive des relations entre ses parents est nécessaire pour que l'enfant puisse maîtriser ses pulsions agressives. Les caractéristiques de cette phase sont les sentiments ambivalents de l'enfant envers sa mère résultant de la symbiose originaire. Il ne peut affronter les pulsions agressives envers sa mère,

parce que la haine contre elle équivaudrait à détruire sa propre vie. La sortie de ce dilemme est ouverte par le père, en tant que « tiers non contaminé ». En effet, il n'est pas aux prises avec les sentiments contradictoires nés des relations symbiotiques. Par cette voie, l'enfant est capable d'intégrer la haine de la mauvaise mère, sans avoir recours au clivage, ni à la projection.  Ce qui pouvait être destructeur devient constructif. D'autre part, le père donne à l'enfant un modèle de séparation sans risque d'avec la mère. L'enfant expérimente qu'il y a un objet différencié de la mère, en relation avec elle tout en étant séparé sans être détruit. Il peut prendre le risque de sortir d'une relation symbiotique  en faisant cette expérience qu'une relation entre des individus autonomes est possible.

En référence à ces concepts, Anne SEYTTER donne quelques indications pour ce dispositif en triade, notamment des problèmes comportementaux de l'enfant en rapport avec les processus de séparation-individuation, comme une agressivité immodérée vis à vis de la mère, des comportements de frayeur en l'absence de la mère, ou dans la perspective d'une absence imminente, des attitudes de renfermement immodérées en présence de la mère, ou plus spécifiquement lorsque des symptômes apparaissent à la suite du divorce des parents.

Quant à la forme du dispositif, Anne SEYTTER décrit trois situations possibles:

-         la proposition d'inclure d'emblée la maman dans le séance, avec la consigne de ne pas participer ni réagir à ce que fait son enfant. C'est une situation pratiquement impossible à tenir pour la mère, et très confusionnante pour l'enfant, confronté à une attitude non-naturelle de sa maman.

-         La participation sporadique de la mère pour faire l'expérience des progrès de son enfant. C'est aussi problématique, car la mère peut vivre cette situation comme une démonstration de sa propre insuffisance en tant que mère.

-         La proposition d'une participation active de la mère. C'est l'option que va prendre Anne SEYTTER. Les trois personnes sont également participantes dans l'interaction. Dans la relation entre la mère et l'enfant, le musicothérapeute intervient comme tiers afin de construire une relation triangulaire. L'attention est à part égale entre les trois côtés du triangle.

Pour vivre cette expérience triangulaire, il est d'abord nécessaire que la mère et l'enfant aient la liberté de se mouvoir, qu'ils puissent aisément changer d'instruments. Il est important que le thérapeute conserve son propre jeu, et n'assimile pas son jeu à l'un des deux autres. Un jeu de rotation deux par deux peut être exploité. "Ecoutons comment toi et moi, toi et elle, elle et moi, jouons ensemble". Ou alors le troisième commence à jouer lorsque l'un des deux arrête. De même pour le choix des instruments.

L'intérêt de l'utilisation de la musique est multiple.

-         Ces jeux musicaux sont en lien avec le niveau de développement de l'enfant;

-         la musique crée des relations émotionnelles, en jouant de la musique, des sentiments sont exprimés, qui ne pouvaient pas encore être mentalisés;

-         la relation mère-enfant est virtuellement une relation musicale, évoquant le bain sonore intra-utérin. La musique représente souvent des situations d'apaisement, comme les chansons d'endormissement, les berceuses; la participation de son enfant aide apparemment la maman à montrer de la curiosité, et d'impliquer dans une démarche esthétique, qui pourra être travaillée en thérapie;

-         le plaisir du jeu en commun relance une possible communication entre la mère et l'enfant

-         la musique offre un support nécessaire, par sa structure même, rythme, répétition, continuité, et rend possible l'expression de sentiments;

-         elle offre une sécurité. Les chansons d'enfant, très utilisées en musicothérapie, unissent mère et enfant. Chanter l'un pour les autres peut avoir des effets apaisants et nourrissants.

 

 En Norvège, Gro TROLDALLEN propose aussi un travail de musicothérapie mère-enfant, à la différence toutefois qu'il va s'agir d'un dispositif de groupe, accueillant plusieurs mères et enfants. Gro TROLDALLEN s'appuie sur des travaux de recherches pointant les composantes musicales dans les interactions non-verbales (STERN, 1985, TREVARTHEN, 1985), faisant le lien entre le jeu musical interactif ("interplay") et les interactions précoces entre mère et jeune enfant, dans le sens d'échanges sonores et gestuels et leurs variations en termes d'intensité, d'intonation, de rythme et de tempo. Cela rejoint ce que Bateson décrit en terme de "protoconversation", en tant que base du versant non-verbal dans l'interaction musicale, et qui survient avant le modèle du dialogue verbal. De même que le "proto-dialogue préverbal dans l'interaction musicale", décrit par un musicothérapeute scandinave, Unni JOHNS (1993). Pour TROLDALLEN, cette base relationnelle dans la protoconversation peut fournir un modèle de compréhension de la dynamique du jeu musical en musicothérapie. A ce niveau théorique, l'empathie et l'intersubjectivité sont sous-tendues dans la relation: deux sujets se rencontrent l'un l'autre à travers l'échange affectif, la reconnaissance mutuelle, et partageant une attention conjointe (p.15). Le travail clinique s'opère donc dans l'Ici et Maintenant de la séance, avec son caractère intersubjectif décrit par Daniel STERN en 1996 lors d'une conférence à l'Université danoise d'Aalborg comme "hot present now"], commentant son concept plus connu, "affect attunement", l'ajustement, l'accordage affectif.

A partir de ces travaux, Gro TROLDALLEN va axer son travail autour de la "reconnaissance" et "l'appréciation mutuelle", qui incluent l'écoute, la compréhension, l'acceptation, la confirmation, la tolérance. La musicothérapie prend place dans une institution de soin pour enfants, où mères et enfants participent au même groupe de musicothérapie. Son questionnement repose autour de ce double mouvement: comment une "reconnaissance" peut-elle s'exprimer dans le jeu musical, et éclairer les processus à l'œuvre en musicothérapie? Et comment la fonction du jeu musical peut-elle devenir un potentiel de changement, de transformation?

Elle prend l'exemple de l'évolution d'un groupe auquel neuf mamans et leurs onze enfants ont participé. Ce travail est proposé à des parents isolés, des mères seules avec un enfant, en situation  de vie difficile, regroupées dans une institution de soins pour ces enfants. La séance a lieu au jardin d'enfants. Partant de situations fortuites, contextuelles se présentant lors des séances, des mouvements corporels, des déplacements des enfants dans l'espace, la musicothérapeute met en exergue ces situations, les vocalise, les chante, les articule avec des propositions de jeux sonores, de comptines, etc. Elle convoque ainsi une mise en scène, mettant en évidence les moments d'échanges émotionnels, de mouvements d'identité, d'appartenance sociale, de régulation mutuelle, d'ajustement de l'attention mutuelle, du développement des habiletés au jeu relationnel interactif.

 L'expérience montre combien le jeu musical ouvre à la possibilité de rencontres intersubjectives, la rencontre de deux sujets dans un ajustement affectif, un accordage affectif, une attention conjointe et une confirmation mutuelle. La reconnaissance est corrélative de l'intersubjectivité, qui se développe au travers des échanges affectifs.

 

Dans un dispositif un peu comparable,  en tant qu'il regroupe plusieurs familles simultanément, je peux bien entendu citer ma propre expérience, (François-Xavier VRAIT) auprès de familles ayant un enfant leucémique. C'est toutefois bien différent, puisqu'il va s'agir d'un travail avec un  groupe beaucoup plus important,  concernant environ 7 à 8 familles, réunies ensemble sous forme de week-ends, avec une équipe de 8  thérapeutes. L'équipe est pluridisciplinaire, avec l'idée de développer toute une palette de formes expressionnelles et créatrices, dans le but de relancer une communication intra-familiale. Les objectifs thérapeutiques sont à comprendre du côté d'un soutien, individuel et familial, afin de répondre aux multiples désorganisations psychiques provoquées par la maladie de l'enfant, et ses répercussions sur l'ensemble de l'écosystème familial.

Ce dispositif peut paraître assez lourd, mais permet en fait une souplesse de travail et une adaptabilité pouvant répondre aux besoins des personnes comme des familles. En effet, au cours de chaque session, il peut être proposé à chacun de travailler à partir de groupes de paroles, d'ateliers d'écriture, de peinture  ou de dessin, d'expression théâtrale, de marionnettes, de la voix, d'expression corporelle, de musique, etc.

Et ceci, dans différentes configurations :seul avec un thérapeute, en couple, avec le groupe des parents, avec celui des frères et sœurs plus âgés que l'enfant malade, entre jeunes enfants, entre adolescents, avec son propre groupe familial.

Les désordres psychologiques sont très nombreux, et concernent

-         l'enfant malade bien sûr, dont la vie va être particulièrement bouleversée. Hospitalisations, examens  angoissants,  traitements lourds aux effets indésirables pesants, sensations douloureuses pénibles, mais aussi des atteintes psychologiques non négligeables. Les mots souvent ne suffisent pas pour dire une souffrance qu'il ne peut de lui-même rendre consciente.

-         les parents, dont l'organisation de la vie est aussi sensiblement modifiée. Chaque jour de nombreux kilomètres afin d'être présent près de l'enfant hospitalisé. Parfois  quitter une activité professionnelle, ou la mettre en péril. Difficultés financières.Isolement affectif, modification des rapports familiaux et de la vie de relation.

-         Le couple lui-même est atteint, rongé par la peur et l'angoisse devant un devenir incertain. Décompensation dépressive, ou état dépressif masqué : troubles de l'alimentation, du sommeil, fatigabilité ou au contraire hyperactivité défensive, irritabilité, agressivité. Désordres conjugaux, troubles sexuels..

-         les frères et sœurs, cumulant souvent sentiment d'abandon, sensation d'isolement affectif,  sur-responsabilisation, chute des résultats scolaires, apparition de symptômes régressifs (énurésie, troubles ou retards de langage...),  manifestations, désordres comportementaux et relationnels.

En d'autre termes, la dynamique familiale se trouve gravement endommagée. Chacun réajuste bien entendu son espace personnel, mais ce réaménagement s'opère de manière absolument individuelle. Dès lors, chacun s'enferme dans une détresse que l'évitement et le déni rendent peu élaborables. Et nous rencontrons  fréquemment un schème de pensée familiale rendant impossible l'expression d'une souffrance: "Si je parle de ma souffrance, je fais souffrir les autres.  Et je devine combien ils souffrent déjà. En conséquence, je me renferme dans mon silence de douleur".  Ainsi plus personne ne peut parler de ce qu'il ressent profondément.  Et chacun de se cloîtrer dans sa douleur intime.

C'est alors que les arts-thérapies,  la musicothérapie, vont prendre toute leur place.

-         Ils agissent en tant que langage expressif et support à une expression signifiante. La nouveauté du dispositif langagier proposé permet à chacun d'affronter sa réalité intérieure.

-         Ils agissent en tant que moyen de communication.  En effet, le schème de pensée décrit plus haut rend pratiquement inefficace toute tentative de vouloir d'emblée rétablir une communication intra-familiale traditionnelle. Il faut donc permettre au groupe familial de faire l'expérience, dans la relance d'un processus créatif, qu'un "projet familial" est déjà à l'œuvre, est encore possible, est toujours "pensable".

-         Ils agissent en tant que moyen de restructuration de la cellule familiale. Lieu d'expression, espace de communication, c'est l'occasion de réarticuler la place de chacun et d'interroger le système familial dans son ensemble

-         Ils agissent en tant que lieu d'analyse et de réorganisation de la vie intérieure. Au fil du lent travail de création, musicale, picturale, corporelle, de mise en scène théâtrale ou de mise en récit par l'écriture ou le conte, s'élabore doucement un lieu pour se projeter, pour se représenter. S'accepter comme sujet de sa propre création. Et donner forme à sa douleur.

Nous retrouvons ainsi les quatre formes d'utilisation de la musique en musicothérapie, telles que décrites par Edith LECOURT : moyen d'expression, de communication, de structuration, et d'analyse de la relation.

Par contre, nous percevons combien, dans cette configuration de thérapie familiale, la musicothérapie n'a de sens que dans un ensemble plus vaste, celui de l'art-thérapie.  L'art en thérapie déploie ici, pour ces familles en très grande souffrance psychologique, les moyens de restaurer la force d'exprimer, d'éprouver et d'élaborer une capacité à construire, pour soi-même, et pour l'ensemble du groupe familial, un nouvel espace pour vivre.

 


03/01/2007
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